Textes

Qu’est-ce que l’art libre ?

 

Qu’est-ce que l’art libre ? (version 1), un texte écrit pour framasoft.net.
Antoine Moreau, 06 septembre 2005. Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le redistribuer et/ou le modifier selon les termes de la Licence Art Libre. Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude http://www.artlibre.org ainsi que sur d’autres sites.

Introduction :

Un mot pose souvent question dans « Licence Art Libre », c’est le mot « art ». Je vais tenter ici de préciser ce que veut dire « art libre » dans « Licence Art Libre ».
Rappelons tout d’abord que la LAL est une licence libre de type copyleft qui s’applique à tous genres de créations hors logiciel. Elle se réfère à la liberté issue des logiciels libres.
Liberté de copier, diffuser, transformer les créations en les laissant toujours librement copiables, diffusables et transformables.

Ce que l’art libre n’est pas et ce qu’il peut être :

  • L’art libre n’est pas de l’Art.

    C’est peut-être de l’art, mais pas seulement. L’art libre n’a pas les qualités de l’Art. Ce n’est pas la stricte observation des critères artistiques, mais bien plutôt l’absence possible de ceux-ci.
    C’est une création qui excède les qualités propres à l’Art.
    C’est une liberté prise sur l’Art reconnu comme tel. L’art libre fait l’économie de l’Art. C’est à dire qu’il en est autant le transport que l’oubli. L’art libre reformule les valeurs de la création en affirmant sa pratique commune et partagée.

  • L’art libre n’est pas une création d’Artiste.

    C’est peut-être une création d’artiste, mais pas seulement. L’art libre est fait aussi et surtout par des non-artistes, des para-artistes, des méta-artistes, par n’importe qui produit une forme qui se veut librement accessible, copiable, diffusable et transformable. Si les Artistes ont le monopole de l’Art, ce territoire gardé de la passion culturelle, les artistes libres ont en partage un terrain de jeux où la création est ouverte.
    C’est une invention.
    Elle n’a rien d’original : inventer, c’est découvrir l’inconnu. L’inconnu est déjà  là, nous le découvrons en le mettant à jour. Il n’y a rien d’original à ça. Faire l’original, c’est faire l’imbécile : celui qui se croit à l’origine de sa création.
    Quand nous faisons de l’art libre, nous sommes libres de l’Art et de ses canons. Nous retrouvons ainsi ce qui fait « art » bien avant l’invention de l’Art : une manière de faire, une technique. Ce n’est pas rien, c’est la beauté du geste même. Cette grâce n’a de compte à rendre à personne, sauf aux principes qui fondent sa liberté.

  • L’art libre n’est pas de la Culture.

    C’est peut-être de la culture, mais pas seulement. La Culture, c’est la police de la pensée. On ne peut confondre la liberté de l’esprit et ce qui en ordonne l’inscription. L’art libre est à la Culture ce qu’une écriture est à une police de caractère. Si la pensée a besoin d’être policée pour être comprise, elle ne peut être réduite à ce qui va en formater l’esprit.
    C’est du vide.
    L’art libre est un trou qui fait ouverture dans le mur de la Culture. C’est sa respiration vitale autant que sa mise en danger nécessaire. Une mise en branle de l’habitacle. Aussi, il ne pourrait y avoir de « Culture Libre » sans que celle-ci ne soit nourrit par ce qui la troue : un art libre. De la même façon qu’il n’y a pas de Culture vivante sans cet art vivace qui excède le culturel même. Il y a un rapport aussi conflictuel que fécond entre l’art et la Culture. Tout comme entre l’art libre et la Culture Libre, si un jour, et tout porte à croire que ce jour pourrait venir, une Culture Libre se généralise, s’institue et s’impose.

  • L’art libre n’est pas la Liberté.

    Une Liberté absolue c’est une liberté totale, floue, totalement floue et comme telle, opaque. On sait ce qu’il en est de la Liberté sacrée, celle pour laquelle se sacrifient les peuples appelés au Grand Soir promis par les idoles. Quant à ce « feu indompté de la liberté » promis au monde entier par la super puissance actuelle, il brùle les planches sur lesquelles il est censé jouer un rôle. C’est la liberté même alors qui s’envole en fumée. Cette Liberté grandiose, l’art libre ne peut que la ruiner.
    C’est la liberté.
    La liberté que suppose l’art libre, c’est la liberté définie selon les principes issus du logiciel libre et des protocoles ouverts de l’internet. C’est un trait précis qui permet de dessiner un espace d’échanges où se manifeste un souci éthique entendu. Celui qui a été à la base de l’avènement du net et qui prône l’interopérabilité entre les machines. Autant dire entre les animaux parlants eux-même et qui utilisent les machines en réseau.

Pourquoi alors le mot « art » pour une licence libre concernant tous types de contenus y compris non-artistiques ?

  • Parce que « art » vient du latin « ars, artis » qui veut dire tout simplement : façon, manière. « Il est lié à la technique, « technê » qui ne désigne pas seulement le faire de l’artisan et son art, mais aussi l’art au sens élevé du mot et les beaux-arts. La techné fait partie du produire, de la poiêsis; elle est poiétique.1» Ainsi, si l’art est une technique et la technique un art, la beauté de cet art ne se réalise pleinement que si son geste est libre. Dans le cas contraire, il est l’élément servile d’une technologie dominante. L’art libre veut dire la technique libre.
  • Parce que « art » est un mot « poil à gratter ». Il chatouille le fond culturel commun, il le fait briller en le libérant de l’épaisse couche protectrice qui tient les êtres et les choses captifs.
  • Parce que « art » n’est pas un gros mot. C’est juste un petit mot qui se marie très bien avec la liberté.

 

Copyleft Attitude : pour la libre copie, diffusion et transformation des créations.

logo copyleft

Texte de la conférence donnée lors des Rencontres de Lure le vendredi 27 août 2004
Antoine Moreau, « Copyleft Attitude : pour la libre copie, diffusion et transformation des créations ». Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le redistribuer et/ou le modifier selon les termes de la Licence Art Libre http://www.artlibre.org

Introduction

Je vais vous présenter le concept du copyleft et la Licence Art Libre pour conclure ensuite en fonction de ce qui nous réunit ici, les lettres, le livre, l’édition. J’ai décidé pour cette présentation de procéder par collage, faire une composition par « copié-collé ». Aussi je vais reprendre des morceaux de textes déjà  écrits pour des articles ou des conférences et vais les assembler entre eux en les modifiants un peu. Ne pensez pas que je procède ainsi par pur esprit de facilité ou désinvolture. Mon souci actuel est de ne pas tomber dans la redite de moi-même et des propos que je porte. Depuis que Copyleft Attitude existe, c’est à dire depuis 2000, je me suis employé à faire comprendre la pertinence du copyleft et de faire connaître la Licence Art Libre. S’installer dans un discours risquerait de faire passer l’information pour de la propagande et le sujet de la communication pour de l’idéologie. Ce qui m’est proprement insupportable et je tiens à vous en préserver.
Cette petite introduction pour expliquer la forme de mon exposé et vous prévenir de son aspect décousu, rapiécé, recomposé, copié, collé, coupé, plus proche sùrement d’une figure poétique que de la rhétorique publicitaire. Je tenterai de faire court pour nous laisser le temps ensuite de la discussion.

Extraits modifiés d’une conférence donnée lors de CODE, Collaboration and Ownership in the Digital Economy (Queens’ College, Cambridge, 4-6 Avril 2001)

Je vais commencer par évoquer la naissance en France du mouvement Copyleft Attitude pour ensuite donner les raisons de la création de la Licence Art Libre et de son utilité. Je terminerai par quelques réflexions qui se posent à l’art contemporain et à la création en général à l’ère du numérique.

C’est la pratique de l’internet et l’observation de la communauté des informaticiens qui font et utilisent des logiciels libres qui est à l’origine de Copyleft Attitude. Lorsque j’ai pris connaissance de la notion de copyleft via le net, je me suis aperçu qu’il pouvait s’appliquer aussi à la création artistique. Autoriser la copie, la diffusion et la transformation de créations autres que logicielles, cela correspondait à de nombreuses recherches réalisées en art depuis à peu près 20 ans. Mais jamais cela n’avait été formulé de façon aussi réelle et pertinente par les artistes comme on pu le faire les informaticiens avec le projet GNU à l’origine des logiciels libres. J’en parle alors à des amis artistes et nous nous mettons au travail.

En Janvier 2000 nous avons organisé à Paris des rencontres et des débats entre artistes, informaticiens, juristes et différents acteurs du monde de l’art pour informer sur la notion de copyleft et de logiciels libres. L’idée était de voir en quoi cette notion issue de la création informatique pouvait être pertinente pour les artistes et pour la création en général.
Pour la première fois, des informaticiens libres et des artistes contemporains prenaient connaissance des uns et des autres et pouvaient constater qu’ils avaient de nombreux point communs.
A tel point que, par exemple, le « Comment devenir un hacker ? » d’Eric S. Raymond peut-être facilement transformé en « Comment devenir un artiste ?« . Ce que j’ai fait, avec l’autorisation de l’auteur, en changeant des mots propres à l’informatique par des mots concernant l’art.

En Mars 2000, nous avons mis en place un atelier pour expérimenter des œuvres ouvertes et rédiger ensemble une licence inspirée par la General Public License, la licence copyleft des logiciels libres. Je dois dire que ça n’a pas pu se faire tout de suite, ni très facilement et nous ne l’avons rédigé qu’en juillet 2000 avec l’aide des deux premiers juristes en France à s’être intéressés à la GPL : Mélanie Clément-Fontaine et David Geraud et de la mailing-liste créée à ce moment.

Fin extraits modifiés d’une conférence donnée lors de CODE, Collaboration and Ownership in the Digital Economy (Queens’ College, Cambridge, 4-6 Avril 2001)

Extraits modifiés d’un texte écrit pour une numéro de la revue Synesthésie et intitulé « Musique et copyleft ça coule de source »

Si la création artistique excède son propre domaine en allant s’exercer dans de nombreux autres pratiques comme celui la cuisine par exemple, on observe qu’elle excède aussi le droit d’auteur, non pas pour le nier, mais pour en reformuler justement les termes.
Ainsi le copyleft qui autorise la copie, la diffusion et la transformation des oeuvres. Qu’est-ce que ça veut dire ?
S’il s’agit d’un jeu de mot utilisé par Richard Stallman, créateur du concept des logiciels libres et de la Free Software Foundation, pour désigner les logiciels créés sous la General Public License, le copyleft n’est pas pour autant le contraire du copyright. Le copyleft protège les auteurs de qui voudrait faire main basse sur leur création pour se l’approprier en exclusivité et empêcher qu’elle soit à nouveau copiable, diffusable et transformable librement. Avec le copyleft, nul ne peut fermer ce qui a été ouvert.

La Licence Art Libre : une General Public License pour la création hors logiciel.

Créée par le collectif « Copyleft Attitude », la Licence Art Libre étend l’esprit de la création des logiciels libres (dont les œuvres les plus connues sont Linux, Gimp ou OpenOffice) au domaine de la création artistique. Création artistique entendue au sens large y compris ce qui excède l’art lui-même en fonction des critères entendus.

Créer sous copyleft avec la Licence Art Libre c’est renouer avec une économie propre à l’art et qui a depuis très longtemps permis la libre appropriation des œuvres de l’esprit. Ce n’est qu’avec le triomphe de l’individualisme inconditionnel, à partir notamment du rapport de Lakanal en 1793, que cette tradition millénaire fut entamée.

Créer collectivement à la première personne du singulier.

L’avantage du copyleft et la nécessité d’utiliser une licence libre comme la Licence Art Libre se fait sentir de façon certaine dans le cas de création collective. On parle alors de « création commune » puisque le terme de « création collective » n’a pas la signification qu’on pourrait lui attribuer… En effet, juridiquement la « création collective » appartient en droit à l’initiateur de l’œuvre créée à plusieurs.
Sans cela et malgré les bonnes intentions qui traversent de nombreuses initiatives artistiques qui vont dans le sens du partage des savoirs et des ressources, la création qui se veut collective est en fait toujours régie par le régime du droit d’auteur classique. C’est à dire, je le répète, qu’elle appartient en propre à son initiateur et à lui seul.
Où l’on voit que le discours qui entoure certaines œuvres ne réussit pas à briser les conditions qui cadrent son existence. Le copyleft redéfinit un cadre juridique pour permettre réellement la création d’une œuvre collective, qu’on appellera alors « œuvre commune ».

Cette création commune n’annulant pas non plus toute échappée singulière. Ce qui appartient à tous, appartient à chacun et chacun peut créer pour son propre compte également, en laissant la possibilité de copier, diffuser et transformer également. Ainsi, nous avons des arborescences de créations qui forment des noyaux à composantes multiples et des satellites dispersés et mouvants.

Fin extraits modifiés d’un texte écrit pour une numéro de la revue Synesthésie et intitulé « Musique et copyleft ça coule de source »

Extraits modifiés d’une conférence lors du colloque « autour du libre » en 2002

Maintenant, allons faire un tour.
Lorsque j’ai pris connaissance, via l’internet, de l’existence des logiciels libres, de la notion du copyleft et du projet GNU, je me suis dit qu’il y avait là quelque chose d’admirable et que le monde de l’art et plus généralement la culture contemporaine pouvait et devait en prendre leçon. Qu’il s’agissait là, en intelligence avec le matériau numérique et son transport réticulaire, d’un renouvellement de notions oubliées par notre époque pressée de jouir et de profiter du temps qu’elle veut être le meilleur. Comme si le meilleur temps était celui de la vitesse et la gerbe provoquée par cette ivresse, le signe du bonheur accompli.

Des notions occultées par une volonté de domination toujours prête à nier ce qu’elle ne comprend pas illico. Comme ceci qui coule de source, sans que ce soit pour autant naturel :
– Avoir le droit de se copier les uns les autres pour mêler et enrichir les découvertes des uns et des autres, pour les uns et pour les autres.
– Avoir le droit de diffuser librement les œuvres de façon à ce qu’elles continuent à cheminer dans nos pensées à travers des objets et dans nos cœurs sans qu’il y ait fatalement de point de chute définitif.
– Avoir le droit de transformer les productions d’autrui pour que celles-ci ne stagnent pas en fétiches sacrés et terrorisants mais puissent se développer et se multiplier sous d’autres formes, par d’autres artistes et pour d’autres artistes, qu’ils soient professionnels ou amateurs et même simple public si celui-ci veut prendre part active à la création.
– Et à ces 3 libertés, un interdit essentiel : celui d’avoir l’exclusivité définitive sur les productions ainsi générées. On ne copyright pas le copyleft. Ce qui est ouvert reste ouvert, ce qui est libre reste libre et ce dernier point défend nos créations de qui voudrait en profiter sans partage. Voilà une protection de nos droits d’auteur ainsi reformulés par le copyleft et qui vaut bien celle qui prétend actuellement protéger la création artistique.

Tout cela a été largement compris par le passé et par les artistes dont l’histoire ne se réduit pas à l’érection triomphaliste d’un statut d’auteur comme ayant droit absolu sur une œuvre supposée sienne et supposée lui revenant en propre. Je cite Musset :

On m’a dit l’an dernier que j’imitais Byron… Vous ne savez donc pas qu’il imitait Pulci ?… Rien n’appartient à rien, tout appartient à tous. Il faut être ignorant comme un maître d’école Pour se flatter de dire une seule parole Que personne ici-bas n’ait pu dire avant vous. C’est imiter quelqu’un que de planter des choux.

Je venais donc de découvrir, émerveillé, que des informaticiens, des créateurs de logiciels qualifiés libres, avaient une conscience aiguë et intuitive des fondements même de ce qui fait la culture vivante. Cette communauté de hackers, autrement dit d’artistes de l’informatique, d’informaticiens artistes, reformulait le copyright en copyleft, non pour nier les droits d’auteur, mais pour affirmer et exercer ce à quoi un auteur a le droit : être en intelligence avec son objet, développer une recherche singulière, avoir rapport fraternel avec les autres auteurs et être protégé de qui veut faire de la puissance créatrice un pouvoir dominant

Fin extraits modifiés d’une conférence lors du colloque « autour du libre » en 2002

Extraits modifiés d’un texte prévu pour le n° 4 de la revue Plastik de l’université Paris 1

Copyleft et situation de l’art contemporain

Les situationnistes ont œuvré au « dépassement de l’art » : ils en ont été les négateurs zélés. Le « projet communiste » se donnait comme objectif la réalisation du genre humain dans l’Histoire : il en a été la fable tragique.
Une communauté d’auteurs, basée sur les principes du copyleft correspond à ce que Maurice Blanchot a pu avancer lorsqu’il nomme « communauté inavouable », la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté. C’est celle précisément des artistes (entendez « artistes » au sens le plus étendu, c’est à dire toute personne qui utilise un langage, y compris le plus silencieux). Ces êtres singuliers ayant rapport avec l’universel mais qui résistent justement à toute fusion en un corps uniforme. La communauté des artistes, cette communauté inavouable, est un corps composé qui multiplie et amplifie les corps. Ce sont des corps distincts qui font le corps un : conséquent avec lui-même, selon les principes énoncés du copyleft et par conséquent avec lui-même autre, copié, diffusé, transformé. Ce corps cohérent, un, n’est pas un seul corps. C’est un corps pluriel capable de multiplier les corps. Cela est possible parce qu’il s’offre à l’altérité jusqu’à l’altération, il fonde son existence sur sa capacité à être autre. C’est même une condition essentielle de sa liberté. Là où précisément l’altération comprise et admise est tout le contraire d’une aliénation résultat d’une prise. Ce qui m’altère me libère de ce qui me détermine comme fini. Altéré, j’ai rapport possible avec l’infini, l’impossible, l’inimaginable. Je peux envisager, dans ces conditions, la vie avec l’art qui lui est conséquent.
Le copyleft autorise la copie, la diffusion et la transformation de l’œuvre. Il accepte l’alternance à travers auteurs, il invite à l’altérité constructive au risque de l’éloignement de l’origine. Ce risque est vital si on considère bien ce qu’est l’origine : un lieu aspirant, un creux abyssal comblé sans fin d’histoires, de chutes, de dépôts de savoirs et de techniques. Cette distance prise avec l’origine comme mythe permet de se défaire du caractère déterminant et terrifiant qui a toujours été le sien.

Nous sommes bien alors dans une filiation autonome. C’est aujourd’hui l’automne de ce qui faisait jusqu’alors l’été de l’origine. C’est aussi l’automne de l’art, son hiver en perspective, son printemps le plus sûrement. C’est pour cette raison que nous pouvons parler de période contemporaine « post-artistique ». Non pas le fantasmé terrifiant « dépassement de l’art », mais ses à-côtés multiples. Ainsi les artistes, selon le copyleft, sont-ils des post-artistes. Plus exactement, des para-artistes qui accompagnent la chute historique de l’art comme les parachutistes accompagnent la chute du voile qui les tient en l’air. L’art peut être qualifié de para-art. Son exercice est une para-chute quand le mouvement dessiné est déterminé aujourd’hui par : le plomb dans l’aile.

Mais alors, quelle peut être la réalité sociale d’un artiste, contemporain du post-artistique ? Sans doute est-il un commun des mortels, bien commun et bien mortel. Ses qualités sont dans cette capacité retrouvée à être commun et mortel. Non pas pour nier les valeurs encore propres à ce qui le définit, une pratique sûrement plus approfondie que chez n’importe qui d’autre, mais au contraire pour en retrouver la justesse et l’endroit : le lieu commun, celui de la disparition de tout territoire exclusif. C’est en ce lieu que l’événement politique et culturel peut avoir lieu. L’internet, lieu par excellence, est apparu là comme un indicateur pertinent de valeurs capables de faire Renaissance.

Fin extraits modifiés d’un texte prévu pour le n° 4 de la revue Plastik de l’université Paris 1

Extraits modifiés de la conférence donnée le lors du colloque « Le Net art : circulation, diffusion, conservation. » au CRAC de Valence le 17 janvier 2004.

Créer à l’heure du copyleft

La Licence Art Libre s’adresse à tous types d’œuvres : numériques ou non, musicales, plastiques, textuelles, etc. L’objet ainsi créé n’est pas seulement un objet fini, c’est aussi une matière première pour réaliser d’autres objets. Le fait d’avoir formalisé juridiquement et conceptuellement ce qui coule de source avec l’internet (la copie, la diffusion, la transformation) permet de le rendre réel. Il n’y a pas de réalité sans mise en forme. Sans Licence Art Libre, ce qui est créé est toujours sous le régime classique du droit d’auteur. Avec ce contrat copyleft, ce qui est créé appartient à tous et à chacun. Les droits sont cédés de façon précise avec cette interdiction fondamentale : avoir emprise propriétaire définitive sur l’œuvre.

Fin extraits modifiés de la conférence donnée le lors du colloque « Le Net art : circulation, diffusion, conservation. » au CRAC de Valence le 17 janvier 2004

Vous pouvez entendre que l’esprit de la loi, au pied de la lettre, est sensiblement modifié avec ce qui est, dans le cas du copyleft, un retournement du droit d’auteur. Je dis « retournement » comme on le dit d’un indicateur qu’on retourne, d’un informateur, dans le monde du renseignement, qui a changé de sens, qu’on a acquis à sa cause. Et c’est vrai que ça cause en tous sens, qu’il y a de plus en plus d’écrits, on s’attend encore à une rentrée littéraire record en quantité de livres à lire. Sans parler des journaux et magazines en tous genres, des informations qui nous captivent : nous sommes pris dans le corps d’un immense texte, tatoués de récits des pieds à la tête, fascinés par les histoires noir sur blanc dont les polices de caractères indiquent bien, à la lettre, l’autorité inhérente à toute trace écrite.

Or, qu’est-ce qui se trame ?
Il est facile d’observer que depuis l’invention de l’écriture et en particulier du livre, sans doute, la disparition de ce qui constitue, dans nos croyances, un livre et l’écriture, s’accélère. Cette disparition n’apparaît pas comme telle : elle se combine avec la multiplication et l’amplification des écrits et des médias.

Depuis l’inscription de la Loi écrite directement par le Créateur sur des tables aussitôt brisées à peine inventées, le support de l’écriture n’a cessé d’être de plus en plus léger et fragile, entraînant le sens de l’écriture même dans une fragilité et une légèreté connexe. Après le marbre de la Loi avec une inscription en dur par Dieu Lui-même, celle-ci s’évaporant au fur et à mesure que Moïse descendait du Sinaï pour rejoindre son peuple livré au Veau d’or, la Bible, manuscrite en exemplaires à chaque fois uniques fera foi. Le Livre fera Loi. Il sera le repère indiscutable dans lequel on peut avoir confiance au sujet de l’histoire d’une humanité probable, avec son passé, son présent et son avenir. Ensuite l’imprimerie fera de cet écrit sacré et intouchable, illisible pour ceux qui ne sont pas clercs, une vulgate en langue ordinaire que chacun pourra lire, commenter, traduire à nouveau, s’approprier pour de multiples interprétations.

Aujourd’hui que le Créateur est mort (cette connaissance dévoilant la structure même de son histoire), l’écriture est le fait d’une foultitude de créateurs écrivains et de lecteurs écrivant. Avec l’internet, chacun est son propre éditeur, chacun y va de sa propre autorité, tout le monde est créateur de sa propre histoire, le droit au chapitre est acquis et la vie devient un roman total, une œuvre socio-culturelle, où la notion d’art s’est diluée dans le cours d’une vie romanesque. Oui, la mort de Dieu (encore faut-il savoir ce que cet oxymore peut bien vouloir dire…) est bien la naissance de milliards de dieux et les textes produits dans ce cadre ont l’actualité d’un quotidien. Le temps, au jour le jour, a pris la valeur de l’infini et ce qui se construit aujourd’hui pourrait être semblable à une nouvelle Tour de Babel : les bâtisseurs de l’Empire mondial, global, total, aspirent à communiquer parfaitement, à se comprendre sans faille, à s’informer sans autre forme de process et de fait, détruisent le langage lui-même car ce qu’il dit, le langage, n’est pas de l’information. C’est de la forme.

Quelle est alors la pertinence du copyleft dans un tel contexte ?
En reformulant le statut de l’auteur, il permet au Texte originel (c’est à dire le langage qui institue la vie dans ses dimensions à la fois poétiques et politiques) qui sous-tend tous les textes de perdurer, de circuler, d’être transmis, interprété, réécrit, relu, redécouvert, sans que quiconque, se prenant alors pour Dieu sait qui, sans doute pour Dieu Lui-même (n’est-ce pas Nemrod ?) n’en interdise la transmission. C’est à dire n’interdise l’inter-dit, ce qui se dit entre les lignes, entre les mots, l’incréé, ce qui s’engendre. Parce que la Loi veut ça : qu’on obéisse au pied de la lettre et qu’on ne lise pas ce qui fait le corps même du Texte et des textes, ce qui n’apparaît pas dans le caractère : le vide, l’espace, le souffle qui fait de la lettre un élément de traduction aux variations vitales.
Non pas qu’il faille à la Loi ou à la lettre nier son bien fondé, ni au texte son utilité, bien sùr, mais qu’il est toujours nécessaire pour poursuivre les écritures et les lectures, pour demeurer les inventeurs du Texte, de rappeler les espaces, les failles, les trous, les respirations sans autre qualité que le fait d’air. À la police de caractère qui institue l’ordre et l’autorité n’oublions jamais la beauté, le luxe, le calme et la volupté.


Illustration :
Logo copyleft, 2001 Antoine Moreau, Copyleft : ce logo est libre, vous pouvez le redistribuer et/ou le modifier selon les termes de la Licence Art Libre. Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude http://www.artlibre.org ainsi que sur d’autres sites.

Copyleft Attitude : une communauté inavouable ?

Antoine Moreau, « Copyleft Attitude : une communauté inavouable ? », 02.02.2004, un texte écrit et non publié pour le n° 4 de la revue [Plastik]. Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier selon les termes de la Licence Art Libre http://www.artlibre.org

Publié le 12 janvier 2005 sur Samizdat.net

C’est peut-être là qu’il faut rechercher une des raisons de nos difficultés, même techniques. Comment la littérature, irréductible au tout et à l’unité, peut-elle s’affirmer dans nos publications collectives où nécessairement c’est la question du tout, le point de vue de l' »ensemble » qui doit être et à juste titre prédominant ?
Au fond, ne devrions-nous pas nous rendre compte de ceci ? Ce qui est en jeu dans notre entreprise, c’est la recherche d’une parole plurielle qui ne saurait être le livre (et qui doit faire échec à l’immobilité, au caractère d’éternité du livre ; de plus, un livre est trop impersonnel pour pouvoir être écrit par plusieurs), mais encore moins à concilier avec l’apparence d’une revue et des nécessités pratiques et périodiques. L’art d’écrire un livre n’est pas encore trouvé, disait Novalis. Il est clair que la forme de cette parole plurielle, nous ne l’avons pas non plus trouvé mais je crois que c’est cette recherche qui compte et qui peut-être compte seule. Me permettez-vous d’ajouter que, quelle que soit l’issue heureuse ou malheureuse de notre tentative, je lui serai reconnaissant de m’avoir permis de vous voir plus souvent et de pouvoir désormais penser à vous comme à un ami très proche.

Maurice Blanchot, lettre inédite (1964) à Louis-René des Forêts.

Introduction

Copyleft Attitude est né de l’observation et de la pratique de l’internet. Observation aussi de ses acteurs les plus en phase avec l’intelligence propre au net : les informaticiens en réseau qui utilisent et créent des logiciels libres. Au cœur de ces communautés, un principe fort simple : droit de copier, diffuser et transformer les logiciels avec l’interdiction d’en faire un usage exclusif. C’est le projet GNU initié par Richard Stallman en 1984 avec la Free Software Foundation. Le logiciel libre le plus connu issu de ce projet est sans doute celui qu’il n’a pas créé : GNU/Linux, initié par Linus Torvalds.
Pour réaliser en toute légalité le droit à la copie, à la diffusion et à la transformation, une licence juridique a été mise au point, la General Public License (GPL). Le concept du copyleft venait de naître.

En janvier et mars 2000 j’organise avec l’aide d’autres artistes regroupés autour de la revue Allotopie (Roberto Martinez, Antonio Galego, François Deck, Emmanuelle Gall) 2 rencontres de 3 jours entre le monde du Libre (informaticiens, juristes, acteurs de l’internet citoyen) et le monde de l’art. Nommées Copyleft Attitude, elles ont lieu à Paris à Accès-Local et à Public. Débats, exposés, prises de contacts et ateliers pour amorcer ce qui aujourd’hui ne cesse de s’amplifier et de s’affirmer. Ces deux mondes ont pris conscience de la dimension culturelle qui les unissait et le rapport qui pouvait y avoir entre eux. Avec, il faut le dire, pas mal d’interrogation et de surprises de part et d’autres. L’un et l’autre ignorant tout, à ce moment-là, de l’un et de l’autre.
En juillet 2000, Mélanie Clément-Fontaine, David Géraud, juristes, et Isabelle Vodjdani, Antoine Moreau, artistes, rédigent une licence inspirée de la General Public License pour permettre la copie, la diffusion et la transformation des oeuvres d’art. C’est la Licence Art Libre. Sur la proposition de Tangui Morlier, étudiant en informatique, un site web plus évolué que celui que j’avais mis en place est créé avec l’aide d’un graphiste, Daltex. Il permet à ceux qui utilisent la Licence Art Libre de référencer leurs œuvres et de trouver matière à création. Récemment une FAQ (foire aux questions) a été rédigée par Romain d’Alverny, musicien et informaticien, avec le concours des acteurs de Copyleft Attitude, pour toutes les questions qui ont trait au droit d’auteur, au copyleft et à la Licence Art Libre. A ce jour des milliers de créations multi médias (images, sons, textes, etc., numériques ou non) ont vu le jour et s’offrent ainsi à la libre copie, diffusion et transformation.


Des créations matières à œuvres.

Les œuvres créées sous copyleft avec la Licence Art Libre ne sont pas finies, quand bien même elles seraient abouties. Elles s’offrent toujours à la reprise possible sans être soumises à l’emprise définitive. Chacun peut les utiliser selon ses intentions, elles n’appartiennent à personne, elles sont à tout le monde. Les auteurs ne sont pas niés pour autant : ils sont explicitement mentionnés, ainsi que leur création, dans les quelques lignes qui indiquent qu’ils autorisent la copie, diffusion et transformation.
Voici le modèle type de la mention copyleft :

[Quelques lignes pour indiquer le nom de l’œuvre et donner une idée éventuellement de ce que c’est.]
[Quelques lignes pour indiquer s’il y a lieu, une description de l’oeuvre modifiée et le nom de l’auteur.]
[la date] [nom de l’auteur] (si c’est le cas, indiquez les noms des auteurs précédents)
Copyleft : cette oeuvre est libre, vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier selon les termes de la Licence Art Libre. Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude http://www.artlibre.org ainsi que sur d’autres sites.

C’est alors qu’une création commune peut réellement avoir lieu. Chaque auteur est conséquent. Avec lui-même, il fait le choix du copyleft et avec les autres, il ouvre la relation. Celui qui est à l’origine de l’œuvre comme ceux qui arrivent ensuite sont conséquents. Ils s’offrent à conséquences multiples. La logique qui prime est celle qui reconnaît la valeur, non pas uniquement dans l’originalité supposée rare, mais aussi et surtout dans le process qui implique chacun des auteurs. Aucun ne prime pour le simple fait qu’il serait, selon la croyance, à l’origine de l’œuvre. C’est là toute l’utilité juridique du copyleft pour définir l’œuvre et donner un statut autre de l’auteur. Car il ne s’agit :
– ni d’une œuvre de collaboration ( CPI, art L113-2 et 3 : l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs. Les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord),
– ni d’une œuvre collective (CPI, art L113-5 : l’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l’auteur),
– ni d’une œuvre composite (CPI, L113-4 : l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante).

Il s’agit d’une œuvre commune.
Elle est un bien commun qui, dans le cas du numérique, grâce à la copie à l’identique et illimité, est difficilement épuisable. Cette faculté permet également la sauvegarde des différentes étapes de l’évolution de la création. Aussi, rien n’est perdu quand on donne. Bien au contraire : ce qui s’offre à la reprise crée de la génération.
L’originalité de l’œuvre disparaît derrière sa capacité à générer des œuvres conséquentes. La rareté également n’est plus le critère de valeur absolu, elle fait place à une puissance d’offres qui en relativise la notion. L’original, multiplié en autant d’originaux tiers, se trouve dissous et étrangement régénéré.
Sans doute, ce qui s’annonce à l’aube du XXIe siècle est bouleversant pour les valeurs convenues associées à l’art.
Et si, par exemple, faire preuve de « dons (pour l’art )» c’était donner (de l’art) ? Plus exactement, réaliser ce que l’art peut être : une action gracieuse. La beauté du geste est alors une sculpture de soi en rapport avec autrui quand, nous le savons, je est un autre.

Reformuler l’existant pour être en forme aujourd’hui.

Il y a nécessité de redéfinir les mots employés qui sont dévolus à cerner ce qui fait forme. Cela permet d’en redécouvrir les contours. Décapée par cette « remise en forme », la création artistique apparaît dans tout ce qui fait sa vérité. Cette remise en forme est une mise à jour utile pour la pratique de l’art possible. Elle s’inscrit dans le sillage originel de son apparition, le fait d’art qui a produit les formes d’arts.

Voici donc les définitions des mots-clefs qui sont utilisés dans la Licence Art Libre :
L’œuvre :
il s’agit d’une œuvre commune qui comprend l’œuvre originelle ainsi que toutes les contributions postérieures (les originaux conséquents et les copies). Elle est créée à l’initiative de l’auteur originel qui par cette licence définit les conditions selon lesquelles les contributions sont faites.
L’œuvre originelle :
c’est-à-dire l’œuvre créée par l’initiateur de l’œuvre commune dont les copies vont être modifiées par qui le souhaite.
Les œuvres conséquentes :
c’est-à-dire les propositions des auteurs qui contribuent à la formation de l’œuvre en faisant usage des droits de reproduction, de diffusion et de modification que leur confère la licence.
Original (source ou ressource de l’œuvre) :
exemplaire daté de l’œuvre, de sa définition, de sa partition ou de son programme que l’auteur présente comme référence pour toutes actualisations, interprétations, copies ou reproductions ultérieures.
Copie :
toute reproduction d’un original au sens de cette licence.
Auteur de l’œuvre originelle :
c’est la personne qui a créé l’œuvre à l’origine d’une arborescence de cette œuvre modifiée. Par cette licence, l’auteur détermine les conditions dans lesquelles ce travail se fait.
Contributeur :
toute personne qui contribue à la création de l’œuvre. Il est l’auteur d’une œuvre originale résultant de la modification d’une copie de l’œuvre originelle ou de la modification d’une copie d’une œuvre conséquente.

Une communauté d’auteurs post-artistique et post-communiste ?

Les situationnistes ont œuvré au « dépassement de l’art » : ils en ont été les négateurs zélés. Le « projet communiste » se donnait comme objectif la réalisation du genre humain dans l’Histoire : il en a été la fable tragique.
Une communauté d’auteurs, basée sur les principes du copyleft correspond à ce que Maurice Blanchot a pu avancer lorsqu’il nomme « « communauté inavouable », la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté. C’est celle précisément des artistes. Ces êtres singuliers ayant rapport avec l’universel mais qui résistent justement à toute fusion en un corps uniforme. La communauté des artistes, cette communauté inavouable, est un corps composé qui multiplie et amplifie les corps. Ce sont des corps distincts qui font le corps un : conséquent avec lui-même, selon les principes énoncés du copyleft et par conséquent avec lui-même autre, copié, diffusé, transformé. Ce corps cohérent, un, n’est pas un seul corps. C’est un corps pluriel capable de multiplier les corps. Cela est possible parce qu’il s’offre à l’altérité jusqu’à l’altération, il fonde son existence sur sa capacité à être autre. C’est même une condition essentielle de sa liberté. Là où précisément l’altération comprise et admise est tout le contraire d’une aliénation résultat d’une prise. Ce qui m’altère me libère de ce qui me détermine comme fini. Altéré, j’ai rapport possible avec l’infini, l’impossible, l’inimaginable. Je peux envisager, dans ces conditions, la vie avec l’art qui lui est conséquent.
Le copyleft autorise la copie, la diffusion et la transformation de l’œuvre. Il accepte l’alternance à travers auteurs, il invite à l’altérité constructive au risque de l’éloignement de l’origine. Ce risque est vital si on considère bien ce qu’est l’origine : un lieu aspirant, un creux abyssal comblé sans fin d’histoires, de chutes, de dépôts de savoirs et de techniques. Cette distance prise avec l’origine comme mythe permet de se défaire du caractère déterminant et terrifiant qui a toujours été le sien.

Nous sommes bien alors dans une filiation autonome. C’est aujourd’hui l’automne de ce qui faisait jusqu’alors l’été de l’origine. C’est aussi l’automne de l’art, son hiver en perspective, son printemps sûrement. C’est pour cette raison que nous pouvons parler de période contemporaine « post-artistique ». Non pas le fantasmé terrifiant « dépassement de l’art», mais ses à-côtés multiples. Ainsi les artistes, selon le copyleft, sont-ils des post-artistes. Plus exactement, des para-artistes qui accompagnent la chute historique de l’art comme les parachutistes accompagnent la chute du voile qui les tient en l’air. L’art peut être qualifié de para-art. Son exercice est une para-chute quand le mouvement dessiné est déterminé aujourd’hui par le plomb dans l’aile.

Mais alors, quelle peut être la réalité sociale d’un artiste, contemporain du post-artistique ? Sans doute est-il un commun des mortels, bien commun et bien mortel. Ses qualités sont dans cette capacité retrouvée à être commun et mortel. Non pas pour nier les valeurs encore propres à sa recherche en art, sùrement plus approfondie que n’importe qui d‘autre, mais au contraire pour en retrouver la justesse et l’endroit : le lieu commun, celui de la disparition de tout territoire exclusif. C’est en ce lieu que l’événement politique et culturel peut avoir lieu. A développer. L’internet, lieu par excellence, est apparu là comme un indicateur pertinent.

Sur la question de ce qui fait communauté dans Copyleft Attitude, on lira avec avantage la thèse de DEA en sciences de l’information et de la communication de Charlotte Bruge : « La communauté Art Libre : Un enchevêtrement de réseaux discursifs et créatifs ? ».


De la réalité par la pratique.

Sans licence copyleft, l’intention des auteurs de créer une œuvre commune est réduite à néant. Car de fait, toute création est soumise au droit d’auteur classique. Pour dépasser l’intention qui se veut bonne et réellement réaliser une œuvre commune, il est nécessaire de passer par un contrat juridique comme le propose la Licence Art Libre.
Depuis 2000, un certain nombre d’œuvres se font ainsi à plusieurs auteurs grâce à la LAL. Exemples pris sur le site https://artlibre.org/:
http://www.crob.ch/art/e-quart/
http://jijijacasse.free.fr/pages/aaa.html
http://wiki.artlibre.org/galerie/EOF
http://adamproject.net

Aussi, ce qui rend réel une œuvre qui s’inscrit par habitude dans le champ de l’art, ce n’est pas tant les qualités dont elle veut démontrer la superbe, que les conditions qui lui permettent d’excéder les finalités qui étaient les siennes propres. La question de la loi est là qui se pose. Une loi du genre artistique renouvelée par l’opération d’un retournement. Non pas le renversement, ni le détournement de la loi, mais bien son retournement, comme on le fait d’un indicateur en matière de renseignements. Il s’agit là d’un phénomène qui agit dans l’ombre et à l’abri des regards mais dont les résultats attendus et visibles indirectement reposent sur un travail de fond. Le travail de l’art agit sûrement ainsi, le culturel, dans ses phénomènes apparents, en donne un aperçu sensible.

Une hypothèse pour finir momentanément : et si, sans le savoir encore, une part non négligeable des pratiques contemporaines de l’art étaient en phase avec la notion de copyleft ? Sans l’avoir formalisé ni pratiqué, comme le collectif Copyleft Attitude a pu le faire avec la Licence Art Libre, les créations collectives qui encouragent le partage et la mise à disposition des ressources culturelles poursuivent des objectifs également similaires et semblables aussi à ceux des hackers du logiciel libre. Mais les pratiques d’art contemporain ne seraient qu’un leurre si elles ne prenaient pas les moyens techniques juridiques pour rendre réelles ses intentions qui, jusqu’à présent, demeurent virtuelles. Le monde dit « virtuel » du numérique et du net aura été alors plus réel que celui qui tente de toucher la réalité contemporaine de près. Les post-artistes du réseau montrent le réel de l’art en son transport réticulaire. L’inavouable communauté mondiale qui s’annonce à l’ère de la mondialisation généralisée est elle-même tout entière post-artistique : ses figures multiples, des para-formes en tout genre, génèrent des structures vitales qui préservent du néant. Les formes en place, parce qu’elles s’écrasent dans leur trop-plein, pourraient laisser place à ces formes para-artistiques, légères, créatives et dynamiques.

De la distinction entre l’objet d’art et l’objet de l’art, du net-art et de l’art du net. (Pour une pratique du réseau en intelligence avec ses acteurs. Rien n’a lieu que le lieu et je est un autre).

Présentation de Copyleft Attitude et de la Licence Art Libre.
De la distinction entre l’objet d’art et l’objet de l’art, du net-art et de l’art du net. (Pour une pratique du réseau en intelligence avec ses acteurs. Rien n’a lieu que le lieu et je est un autre).

Conférence donnée lors du Colloque au CRAC de Valence : Le Net art : circulation, diffusion, conservation. 17 janvier 2004, Antoine Moreau Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le redistribuer et/ou le modifier selon les termes de la Licence Art Libre.

Tout d’abord je tiens à vous prévenir : mon exposé est imparfait. Il est pour bonne part à l’imparfait, mais parle du présent. Il est aussi imparfait. Pas tant que cette imperfection m’échappa lorsque je l’ai préparé, mais que je l’ai voulu telle, sachant que c’était dans les failles qu’on peut trouver ce qui fait ouverture.
Ne pas s’en tenir uniquement au cadre du discours permet d’aborder réellement le sujet envisagé puisqu’un « je » parle à d’autres. Aussi ce que je vais dire n’est pas définitif et encore moins fini. Je compte bien sur vous pour être les écouteurs attentifs qui allez faire véritablement ce que je vais dire. Autrement dit et comme a pu le constater il y a très longtemps Lao-Tseu : tout va se faire sans que j’en sois l’auteur.

Je vais faire une présentation rapide de Copyleft Attitude (est-ce un mouvement artistique , une communauté d’individus et pas simplement artistes rassemblés par les mêmes préoccupations, une association informelle ? A vrai dire je ne le sais pas très bien et la question se pose tout le temps). Et je vais aussi vous parler de la Licence Art Libre qui est l’outil de Copyleft Attitude.
Ensuite et à la fin, j’essaierai de vous montrer en quoi l’internet et l’art qui lui est conséquent est un lieu où rien n’a lieu que le lieu (pour reprendre une formule célèbre de Mallarmé) et où je est un autre (pour reprendre la formule non moins célèbre de Rimbaud). Et qu’à propos de cette catégorie nommée « net-art », il est sùrement davantage question d’art du net que de fabrication d’objet sur le net.

Copyleft Attitude est né de l’observation et de la pratique de l’internet. En me connectant au réseau en 95, il m’est apparu qu’il y avait là un monde à part, avec un transport tout autre que celui qui nous mobilise ordinairement. Une vitesse supérieure, un espace infini. Ce monde à part ne m’est pas apparu comme un « autre monde », ni « virtuel », ni à venir, car il prend part au monde présent et pourrait même être un indicateur pertinent de ce qui fait la réelle présence au monde (pour reprendre un terme cher à George Steiner qui voit dans la réelle présence des œuvres, la qualité persistante qui fait leur valeur à travers temps et espaces).
Aussi, quand je me suis aventuré sur le réseau des réseaux, je n’ai pas tant cherché à le conquérir, poser mes marques, en définir un territoire qui me soit particulier, qu’à me laisser conquérir par lui. J’abandonnais les repères qui faisaient mon actualité, ceux qui me définissaient et je me fondais dans le flux du transport réticulaire. Dés le départ peu motivé par le web, vitrine du net, je préférai approfondir ce qui avait moins de visibilité : le mail, les listes de diffusion, les canaux irc, les forums de discussion sur usenet et quelque chose d’aussi matériel et technique que l’esprit du réseau. Ma curiosité me portait davantage vers l’inconnu car les vitrines, j’en connaissais déjà  l’existence. Ce qui me portait à m’intéresser au net c’était bien plus l’esprit qui pouvait régner au cœur de cette mécanique rizhomatique et qui faisait moteur.
C’est ce moteur qui m’intéressait et qui m’intéresse toujours, même si celui-ci se trouve fortement masqué par la carrosserie opaque des pratiques qui prennent place sur le réseau et qui ont la fâcheuse tendance à vouloir imposer en guise de modèle politique, juridique et culturel les formes ruinées et ruineuses du monde dit réel qui nous gouverne. Du plomb dans l’aile, c’est le retour du naturel humain dans le lieu de l’événement qu’était l’internet. Pour que demeure toujours en ce lieu un événement, la première des attitudes est sùrement l’observation attentive de son fonctionnement. On voit aujourd’hui, qu’avec le récent projet de loi concernant l’économie numérique, combien cette culture issue du net est tout simplement niée. Il s’agit de ne rien vouloir apprendre du lieu, de ne rien voir de ce qui est à l’œuvre, de ne rien sentir de ce qui est en jeu pour, coloniser en barbares accomplis un espace qui demandait quelques précautions d’usage afin de bénéficier de toutes ses richesses. L’art de l’approche pour une approche de l’art.

Car il y a bien un art qui est à l’œuvre dans le cyber-espace. Sans doute est-il créé par ceux qui le pratiquent : les post-artistes du réseau. Cet espace prend corps, c’est même la naissance d’un corps nouveau. Extension du corps physique, mais aussi politique, économique et culturel. Pour définir sa politique et son art ce corps a balbutié des codes précis : ce sont les standards du W3C, l’éthique hacker des informaticiens du logiciel libre et en règle générale, une maîtrise plutôt virtuose de l’échange, de la confiance et de la bonne humeur.
On croyait rêver…
C’était tout de même la réalité et déjà  quelques artistes pas encore répertoriés comme tels (peut-être n’étaient-ils pas justement des artistes à proprement parler) commençaient à venir expérimenter ce nouveau lieu. Mais je dois dire que ce n’est pas tant les œuvres qui se voulaient d’art qui retenaient mon attention que l’attitude et la vivacité des informaticiens utilisant des logiciels libres. Ceux qui se reconnaissent dans le projet GNU initié par Richard Stallman dont le logiciel le plus connu est sans doute celui dont il n’est pas l’auteur : le système d’exploitation Linux créé à l’initiative de Linus Torvalds. Et quand en 1999 ce dernier recevait le premier prix catégorie internet lors du festival « ars electronica » de Linz, non pas pour une œuvre d’art reconnue comme telle, mais pour un système d’exploitation, je sautais de joie ! Enfin, un peu de la culture issue du ready-made se faisait entendre et reconnaître dans la cyber culture. Un moteur, une véritable machine célibataire aux multiples mariées était élu comme représentatif de ce que l’art peut-être, c’est à dire un objet technique qui excède le cosmétique de l’objet d’art quand celui-ci, numériquement fabriqué pour taper dans l’oeil et frapper les esprits, ressemble le plus souvent, il faut bien le dire, à une démonstration new-look et high-tech de ce que le matériau impose, une nature nouvelle qui soumet les artistes à s’exécuter comme on rend un culte à une idole fascinante et fraîchement découverte.
Avec GNU/Linux reconnu comme œuvre d’art, nous étions au cœur de ce qui fait art, dans le sujet même de l’art.

Bien que non-informaticien et n’utilisant pas encore de logiciels libres, je rentrai en contact avec ses acteurs et comprenais que l’œuvre n’était pas dans tant la réalisation d’objets se voulant d’art que dans la pratique du réseau en intelligence avec son économie propre. Autrement dit, c’est l’internet qui est l’œuvre et ses utilisateurs peuvent être qualifiés de post-artistes. Je participais à une install-party organisée par le LUG (groupement d’utilisateur de Linux) Parinux et mettais Linux dans mon macintosh. Je transposais, avec son autorisation, le texte d’Eric Raymond, un des principaux acteurs du logiciel libre, « How to become a hacker ? » en « Comment devenir un artiste ? » car à la lecture de ce texte, le parallèle entre ce qui fait un hacker et un artiste m’était paru flagrant. En effet, l’un et l’autre partagent le même esprit de recherche fondamentale, de liberté inconditionnelle mais néanmoins précise, disciplinée et délimitée, d’insoumission à la culture dominante et d’inventivité aventureuse.

Je vais vous lire un bref extrait de « comment de venir un artiste ? » (ce texte est en partie sérieux et en partie volontairement décalé, pas toujours juste dans ce qu’il énonce. Il est perfectible, c’est à ce jour la version 2, je pense en faire une 3ème prochainement, à moins que quelqu’un de plus adroit que moi n’en fasse une version plus stable ) :

Il existe une communauté, une culture partagée de créateurs expérimentés et de spécialistes de l’art dont l’histoire remonte aux premiers dessins multi-utilisateurs, il y a quelques milliers d’années, et aux premières expériences de l’art conceptuel [le réseau connu aujourd’hui sous le nom d’art contemporain, NDT]. Les membres de cette culture ont créé le mot « artiste ». Ce sont des artistes qui ont créé l’art. Ce sont des artistes qui ont fait du ready-made ce qu’il est de nos jours. Ce sont des artistes qui font le réel.

Si vous faites partie de cette culture, si vous y avez contribué et si d’autres personnes qui en font partie savent qui vous êtes et vous considèrent comme un artiste, alors vous êtes un artiste.

L’état d’esprit d’un artiste ne se réduit pas à cette culture des artistes de l’art. Il y a des gens qui appliquent l’attitude de l’artiste à d’autres domaines, comme l’électronique ou la musique. En fait, on trouve cet esprit à l’état le plus avancé dans n’importe quel domaine de la science ou des arts. Les artistes des arts reconnaissent cette similitude d’esprit, et certains affirment que la nature même de l’artiste est indépendante du domaine particulier auquel l’artiste se consacre réellement. Mais dans la suite de ce document, nous nous concentrerons sur les aptitudes et les attitudes des artistes de l’art et sur les traditions de la culture partagée qui a créé le terme « artiste ».

Nota Bene : il y a un autre groupe de personnes qui s’autoproclament des « artistes », mais qui n’en sont pas. Ces gens (principalement des adolescents de sexe masculin) prennent leur pied en s’introduisant à répétition dans les galeries d’art et en vendant leur travail. Les vrais artistes appellent ces gens des « artisans » et ne veulent rien avoir à faire avec eux. Les vrais artistes pensent que les artisans sont des gens paresseux, irresponsables, et pas très brillants. Malheureusement, de nombreux journalistes se sont laissés abuser et utilisent le mot « artiste » quand ils devraient utiliser le mot « artisan ». Cela ne lasse pas d’irriter les vrais artistes.

Vous trouverez l’intégralité de ce document sur le site de la bibliothèque du Libre qui abrite également le livre « Libres enfants du savoir numérique » auquel j’ai participé de façon invisible et illisible, mais bien réelle et sur Agora, l’encyclopédie en ligne canadienne qui a utilisé « Comment devenir un artiste ? » pour servir de définition au mot « artiste » pendant un moment avant qu’un nouveau responsable éditorial ne l’enlève.

Il existe donc un lien patent entre les hackers et les artistes. Ces hackers on les trouve du côté des informaticiens qui utilisent et créent des logiciels libres.
L’aventure du logiciel libre a commencé le 5 janvier 1984 lorsque Richard Stallman a démissionné de son poste au MIT pour élaborer le projet GNU, c’est à dire permettre à la création logicielle de demeurer une création libre qui a le soucis du bien public en autorisant la copie, la diffusion et la transformation des codes sources. Pour cela il a fallu mettre en place la Free Software Foundation et créer une licence juridique : la GPL (General Public License). Le cadre posé, des logiciels libres allaient pouvoir êtres créés et avec l’internet, à une vitesse fulgurante.

En janvier et mars 2000, après avoir saisi le rapport entre l’art informatique et la pratique artistique conventionnelle, j’organise avec d’autres artistes rassemblés autour de la revue Allotopie, 2 rencontres de 3 jours entre le monde du Libre (informaticiens, juristes, acteurs de l’internet citoyen) et le monde de l’art. Nommées Copyleft Attitude, elles ont lieu à Paris à Accès-Local et à Public. Il y a eu des débats, des prises de contacts et des ateliers pour amorcer ce qui aujourd’hui ne cesse de s’amplifier et de s’affirmer. Ces deux mondes ont pris conscience de la dimension culturelle qui les unissait et le rapport qui pouvait y avoir entre eux. Avec, je dois le dire, pas mal d’interrogation et de surprises de part et d’autres. L’un et l’autre ignorant tout, à ce moment-là, de l’un et de l’autre.

Un premier pas était fait, l’autre allait être de, non pas benoîtement créer des œuvres se voulant libres rien qu’avec des bons sentiments (libre de droits, no copyright comme les situationnistes l’ont fait platement avec leur revue Potlatch), mais de mettre au point l’outil qui allait permettre de créer librement. On n’a la paix qu’on mérite qu’avec les armes qu’on se donne.
En juillet nous rédigeons la version 1.1 de la Licence Art Libre, directement inspirée de la GPL. C’est aujourd’hui l’outil juridique qui permet légalement de copier, diffuser et transformer les œuvres.

Je vous lis un extrait du préambule :

Avec cette Licence Art Libre, l’autorisation est donnée de copier, de diffuser et de transformer librement les oeuvres dans le respect des droits de l’auteur.

Loin d’ignorer les droits de l’auteur, cette licence les reconnaît et les protège. Elle en reformule le principe en permettant au public de faire un usage créatif des oeuvres d’art.
Alors que l’usage fait du droit de la propriété littéraire et artistique conduit à restreindre l’accès du public à l’oeuvre, la Licence Art Libre a pour but de le favoriser.
L’intention est d’ouvrir l’accès et d’autoriser l’utilisation des ressources d’une oeuvre par le plus grand nombre. En avoir jouissance pour en multiplier les réjouissances, créer de nouvelles conditions de création pour amplifier les possibilités de création. Dans le respect des auteurs avec la reconnaissance et la défense de leur droit moral.

En effet, avec la venue du numérique, l’invention de l’internet et des logiciels libres, un nouveau mode de création et de production est apparu. Il est aussi l’amplification de ce qui a été expérimenté par nombre d’artistes contemporains.

Le savoir et la création sont des ressources qui doivent demeurer libres pour être encore véritablement du savoir et de la création. C’est à dire rester une recherche fondamentale qui ne soit pas directement liée à une application concrète. Créer c’est découvrir l’inconnu, c’est inventer le réel avant tout souci de réalisme.
Ainsi, l’objet de l’art n’est pas confondu avec l’objet d’art fini et défini comme tel.

La Licence Art Libre s’adresse à tous types d’œuvres : numériques ou non, musicales, plastiques, textuelles, etc. et l’objet d’art n’est pas seulement un objet fini, c’est aussi une matière première pour réaliser d’autres objets. Le fait d’avoir formalisé juridiquement et conceptuellement ce qui coule de source avec le net (la copie, la diffusion, la transformation) permet de le rendre réel. Il n’y a pas de réalité sans mise en forme. Sans Licence Art Libre, ce qui est créé est toujours sous le régime classique du droit d’auteur. Avec ce contrat copyleft, ce qui est créé appartient à tous et à chacun. Les droits sont cédés de façon précise avec cette interdiction fondamentale : avoir emprise propriétaire définitive sur l’œuvre.

Depuis 3 ans, un site https://artlibre.org permet à ceux qui créent sous Licence Art Libre de répertorier leurs œuvres, il y en a plusieurs dizaine de milliers si on compte la totalité d’images diverses, de photos, de morceaux de musiques, de texte, d’œuvres spécifiques au net, et aussi des œuvres non numériques.
Exemple d’œuvres :
– Bobig : je recherche mon enfance
– Auber : @rbre
– Timothé Rolin : Adamproject
– Crob : e-quart

Quel est fonctionnement de Copyleft Attitude ?
On pourrait dire que Copyleft Attitude fonctionne comme une œuvre ouverte. Des compétences allant de l’informatique à l’art en passant par le droit s’y rencontrent. Les mailing-lists sont le moyen le plus utilisé pour les échanges, c’est là que les rencontres et les conversations ont lieu et que les projets naissent. Mais pas seulement car nous sommes très sensibles à ce que le net et l’art qui lui est conséquent puissent avoir une répercussion réelle sur les pratiques en dehors du net. Ainsi nous organisons une rencontre mensuelle à Paris dont le dispositif est copiable partout ailleurs où résident des acteurs de Copyleft Attitude. Différentes manifestations ont eu lieu également comme par exemple les Copyleft Sessions : à la galerie éof à Paris et à Madrid lors d’un festival sur le libre.
Nous sommes une association de fait, ouverte à tout le monde (et ce choix n’est pas vraiment celui de la facilité…). Il a pu se créer ainsi une communauté « inavouable », pour reprendre un terme cher à Maurice Blanchot, qui rassemble des gens très différents mais qui tiennent ensemble par une fil conducteur commun qui a rapport avec une idée précise de ce que l’internet est : un lieu où l’événement passe et non pas un territoire où l’évènement doit se passer. Faire en sorte que ce ne soit pas la culture qui mène une politique sans surprise sur le net mais au contraire, que la culture soit surprise par la politique spécifique du net pour que le net fasse œuvre de renaissance dans la culture contemporaine. Ainsi on pourrait dire, pour paraphraser Robert Filiou, que « le net c’est ce qui rend la vie plus intéressante que le net ».

Finalement ce qui est à l’œuvre, comme toujours, c’est la question même de la forme. Ce n’est pas tant la question du net-art, de l’art sur le net ou de l’art avec le net que celle de l’art du net, la forme que va prendre la pratique du net. Celle-ci peut certainement être qualifiée de post-artistique. L’art est considéré alors comme la pratique, en grande forme, de toutes les pratiques, de la même façon que le net est le réseau, en grande forme, de tous les réseaux.
La question est de savoir alors si nous voulons être en forme ou pas, si nous voulons rester plombés dans les ruines qu’on n’a de cesse de restaurer où si nous comprenons que la grande santé que nous apporte le net et l’art qui lui est conséquent se trouve dans les valeurs qui lui sont issues et dont le copyleft est une des clefs de voûte essentielle.

 

La communauté Art Libre : un enchevêtrement de réseaux discursifs et créatifs ?

Envoyé par Charlotte le 08/07/2003.

Ce travail ne doit pas être appréhendé comme une étude achevée, il s’agit d’une étude en cours qui se poursuit en thèse, l’objectif de sa mise en ligne est justement que vous puissez en faire des commentaires et critiques afin de pouvoir améliorer son évolution.

Copyleft, le droit de copier, de diffuser et de transformer les oeuvres.

Tout le monde connaît le copyright. Mais qui connaît le copyleft, ce droit d’auteur né des logiciels libres et qui gagne du terrain sur tous les fronts de la création?

Un nouveau monde, une nouvelle économie, de nouveaux droits d’auteur.

Tout à commencé avec les logiciels libres dont le plus connu est GNU/Linux. Tout s’est amplifié avec l’internet: de nouveaux comportements, de nouvelles façons de créer avec le numérique s’affirment. Un mot symbolise aujourd’hui la création qui se distingue du droit d’auteur classique, c’est « copyleft ».

Le gauche d’auteur est très adroit.

Le copyleft veut dire: liberté de copier, liberté de diffuser et liberté de transformer les logiciels. Ce n’est pas un « anti-copyright », ce n’est pas l’abandon des droits d’auteur.
Dans le copyleft, les auteurs ne sont pas oubliés, ils sont cités et protégés de l’emprise propriétaire définitive. Un objet copylefté ne peut être copyrighté, ce qui est ouvert reste ouvert. Les licences libres protègent les auteurs de qui voudrait faire main basse sur leur création pour se l’approprier définitivement et empêcher qu’elle soit à nouveau copiable, diffusable et transformable librement.

Le copyleft appliqué à toutes sortes de créations.

L’art reprend ses droits à la Culture.

« La culture c’est la règle et l’art l’exception » dit Jean-Luc Godard. Avec le copyleft, l’art devient la règle et les règles de l’art se mesurent à ce qui fait aujourd’hui la loi dans la Culture: le marché.
C’est bien avec le souci de privilégier une économie propre à l’art qu’est née la Licence Art Libre mise au point par le mouvement Copyleft Attitude. S’il n’y a pas de progrés en art, l’art n’en est pas moins un processus « in progres ». Il est ce qui compte plus que ce qui se compte.

    Pour mettre une création sous copyleft avec la Licence Art Libre.

Il suffit d’accompagner l’oeuvre de:
[Quelques lignes pour indiquer le nom de l’oeuvre et donner une idée éventuellement de ce que c’est.]
[Quelques lignes pour indiquer s’il y a lieu, une description de l’oeuvre modifiée et le nom de l’auteur.]
Copyright © [la date] [nom de l’auteur] (si c’est le cas, indiquez les noms des auteurs précédents)
Copyleft : cette oeuvre est libre, vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier selon les termes de la Licence Art Libre.
Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude http://www.artlibre.org ainsi que sur d’autres sites.

    « Le gauche d’auteur est très adroit », un texte paru dans la revue « Papiers Libres, art contemporain », juillet 2001
    Copyright © juillet 2001, Antoine Moreau
    Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le redistribuer et/ou le modifier selon les termes de la Licence Art Libre.
    Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude ainsi que sur d’autres sites.

CODE : "The Free Art License: for art not to be stopped".

 

Antoine Moreau, mars 2001, « CODE : the Free Art License : for art not to be stopped . » Texte de la conférence donnée lors de CODE ( « Collaboration and ownership in the digital economy. » Queens’ College, Cambridge, organisé par the Arts Council of England, 4-6 Avril 2001). Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le redistribuer et/ou le modifier selon les termes de la Licence Art Libre. Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude ainsi que sur d’autres sites.

 

Tout d’abord, je voudrais remercier Tina Horne, Antoine Schmitt et Pierre Amadio pour la traduction de mon texte. Et aussi Nicolas Malevé et Laurence Rassel pour leur aide. Et merci aussi à Bronac Ferran pour son invitation et aussi bien sûr, merci à ma mère et à mon père.

Je vais commencer par évoquer la naissance en France du mouvement « Copyleft Attitude » pour ensuite donner les raisons de la création de la Licence Art Libre et de son utilité. Je terminerai par quelques réflexions qui se posent à l’art contemporain et à la création en général à l’ère du numérique.

C’est la pratique de l’internet et l’observation de la communauté des informaticiens qui font et utilisent les logiciels libres qui est à l’origine du mouvement artistique Copyleft Attitude.

Lorsque j’ai pris connaissance de la notion de copyleft, je me suis aperçu qu’il pouvait s’appliquer aussi à la création artistique. Autoriser la copie, la diffusion et la transformation des objets: cela correspondait à de nombreuses recherches réalisées en art contemporain depuis à peu près 20 ans. Mais jamais cela n’avait été formulé de façon aussi réelle et pertinente par les artistes comme on pu le faire les informaticiens avec le projet GNU.
J’en ai immédiatement parlé à des amis artistes rassemblés autour d’une publication nommée « Allotopie » (un autre lieu) et nous nous sommes mis au travail.

Avant de poursuivre, je dois rendre à César, non pas ce qui lui appartient, mais ce qui lui revient: vous le savez sûrement le mot « copyleft » est un jeu de mot inventé par Richard Stallman pour désigner les logiciels libres créés sous la General Public Licence. Je crois même savoir que ce n’est pas lui directement qui est à l’origine de ce jeu de mot, mais un ami à lui. Comme quoi, on est jamais sûr d’être le père de quelque chose. Peut-être même est-ce un étrange animal à corne qui est derrière tout ça?…

En Janvier 2000 nous avons organisé à Paris des rencontres et des débats entre artistes, informaticiens, juristes et différents acteurs du monde de l’art pour informer sur la notion de copyleft et de logiciels libres. L’idée était de voir en quoi cette notion pouvait être pertinante pour les artistes et pour la création en général.
Pour la première fois, des informaticiens libres et des artistes contemporains prenaient connaissance des uns et des autres et pouvaient constater qu’ils avaient de nombreux point communs.
A tel point que, par exemple, le « How-to be a hacker? » d’Eric S. Raymond peut-être facilement transformé en « How to be an artist? ». Ce que j’ai fait, avec l’autorisation de l’auteur, en changeant des mots propres à l’informatique par des mots concernant l’art.

En Mars 2000, nous avons mis en place un atelier-exposition-rencontre pour expérimenter des œuvres ouvertes et rédiger ensemble une licence inspirée par la GPL. Je dois dire que ça n’a pas pu se faire tout de suite, ni très facilement et nous ne l’avons rédigé qu’en juillet 2000 avec l’aide des deux premiers juristes en France à s’être intéressés à la GPL: Mélanie Clément-Fontaine et David Geraud.

Qu’est-ce que la Licence Art Libre?

C’est très simple: la Licence Art Libre est une licence destinée aux artistes et qui autorise la copie, la diffusion et la transformation des œuvres. Elle empêche la mainmise propriétaire définitive. C’est à dire qu’elle oblige à laisser l’œuvre ouverte.
Elle s’adresse à tous types d’œuvres: numériques ou non, musicales, plastiques, textuelles, etc.
C’est un outil. Il permet à la création de passer à travers les créateurs sans qu’on puisse l’arrêter. Faire en sorte que cette création nourrisse d’autres créateurs. Comme le disait André Malraux: « L’art se nourrit de l’art ». L’art n’est pas seulement un objet fini, c’est aussi une matière première pour réaliser d’autres créations.

Ainsi une création collective peut avoir lieu. Elle est ouverte, libre, égalitaire et fraternelle. L’outil, la Licence Art Libre qui s’oppose à l’emprise autoritaire définitive, favorise cela.

En France, nous avons le droit d’auteur qui est un peu différent du copyright, mais de plus en plus, le droit d’auteur français devient un copyright au bénéfice des producteurs et des intermédiaires. Les créateurs et le public sont oubliés. La notion de service public, de bien public est écrasée par les impératifs marchands. La création devient elle même une pure marchandise entre les mains d' »ingénieurs culturels » (c’est ainsi qu’on appelle en France les intermédiaires) qui travaillent pour une culture dominée par la puissance de l’argent.
Nous sommes de plus en plus nombreux à penser qu’il nous faut redéfinir la notion de droit d’auteur et le copyleft nous semble tout à fait approprié à la réalité économique et artistique.

Maintenant, j’aimerais approfondir et expliquer en quoi la rencontre du logiciel libre et de l’internet avec la création artistique est riche de développements. Non seulement pour les artistes mais aussi pour la culture contemporaine.

Précisons tout de suite: lorsque je dit « artiste » je veux parler de n’importe quel créateur même s’il n’est pas dans la plus pure tradition des Beaux-Arts. A « l’homme sans qualité » qu’a bien su voir Robert Musil, nous pouvons aujourd’hui affirmer et se réjouir d’un art sans qualité. Un art à la fois banal et extra-ordinaire par rapport à sa définition première. Quand nous pensons « art », pensons aussi à la cuisine, la marche à pied, la conversation ou même ne rien faire du tout (qui est un art beaucoup plus difficile qu’on ne le croit).
Ceux qu’on nomme « artistes » n’ont pas le monopole de l’art.
De la même façon que les politiciens n’ont pas le monopole de la politique. Nous sommes tous auteurs. Tous auteurs de créations multiples, tous auteurs de la société dans laquelle nous vivons et tous auteurs de la vie que nous menons les uns et les autres, les uns avec les autres et aussi les uns contre les autres.
Nos créations sont à la fois politiques et artistiques. La différence entre ces deux domaines s’estompe. Car la culture est devenue une valeur centrale, partagée entre l’art et le politique. Une valeur discutée et disputée.
A l’ère de la post-démocratie, la politique et l’art sont fait par « Monsieur tout le monde », le citoyen amateur, celui qui aime l’art et qui a son mot à dire en politique. Les professionnels de l’art et de la politique ont pour métier aujourd’hui de montrer la justesse de l’ordinaire et de faire en sorte que la création quotidienne se fasse dans de bonnes conditions.
Créer c’est être attentif. Cette attention reformule l’expression et la libère d’un autisme autoritaire qui guette les auteurs lorsqu’il font l’impasse sur l’observation. Car observer c’est déjà  faire preuve de création.

Et qu’observe-t-on aujourd’hui? Avec la nouvelle économie liée au numérique, ce n’est plus l’objet qui concentre en lui toute la valeur. Ce qui fait la valeur réelle d’un objet, c’est ce qui lui excède, ce qui est à sa périphérie.
On le voit bien aussi avec l’histoire de l’art récente: depuis la fin de la Renaissance, les matériaux qui servent à fabriquer des œuvres sont de plus en plus pauvres, les formes sont de moins en moins sophistiquées. Les artistes prennent à ce point des libertés avec leurs créations qu’ils en arrivent à se passer de créer des objets. Par exemple avec l’exposition du vide de Yves Klein en 1958 , ou les épluchages de Joseph Beuys considérés comme un exercice de sculpture, avec le mot « temps » de Ian Wilson en 1968, les « steps of pedestrians on paper » de Stanley Brown, le travail de Lawrence Wiener qui ne nécessite pas la fabrication de l’œuvre, etc.
On trouverait des exemples dans tous les domaines artistiques.

Il y a donc une véritable économie de la création. Une économie propre à l’art qui fait même, quelques fois, véritablement l’économie de l’art tel qu’on le définit dès qu’il se fige dans un objet. C’est pourquoi, il faut bien distinguer l’objet d’art et l’objet DE l’art. La création artistique n’est pas réductible à l’objet dans laquelle elle peut, pour des raisons pratiques et par convention, se manifester.
Dans le moteur de l’art, les artistes mettent un mélange explosif qui contient du non-art. C’est cette explosion qui créé des étincelles et il serait stupide de vouloir s’en protéger. Le moteur serait alors au point mort et nos véhicules, à l’arrêt.

Une question se pose alors et qui n’est pas étrangère à l’art et à la politique (puisque nous avons vu que ces deux domaines étaient aujourd’hui très liés): pourrait-il y avoir un art de l’économie ?
C’est à dire une pratique de l’économie qui soit, avec ses caractéristiques techniques, ses velléités scientifiques et son pragmatisme revendiqué, une pratique soucieuse non seulement de liberté, mais aussi d’égalité et de fraternité?
Ces trois mots, vous le savez, sont les trois mots clefs de la Révolution Française et on les trouve inscrits sur nos pièces de monnaie (à ce propos je ne sais pas ce que nous allons trouver sur les pièce d’euro…). Le problème avec notre économie libérale c’est qu’elle se contente de la liberté et en fait un absolu suffisant et satisfaisant. Et bien non. Car cette liberté tourne en rond (c’est ça qui ne tourne pas rond). Elle vise sa propre totalité, elle est véritablement totalitaire. On ne peut évidemment pas parler d’art économique dans ce cas. L’art ne se réalise que si cette liberté là est maîtrisée. Si elle est capable de créer aussi de l’égalité et de la fraternité. Sinon, c’est une dictature, la dictature de la liberté. C’est pourquoi la liberté doit être travaillé par une exigence d’égalité et de fraternité. La Licence Art Libre, dans le domaine de la création artistique, tente d’ouvrir cette perspective.

Ceci n’est pas une utopie. Car quand nous faisons de l’art, nous avons bien les pieds sur terre. Nous ne sommes pas de doux rêveurs, nous ne sommes pas en dehors de la réalité. Nous sommes au contraire dans la réalité de la réalité, dans la matière même de la vie et du vivant.

Cette réalité, c’est le flux tendu de nos désirs en rapport avec la matière.
Les œuvres de l’esprit traversent nos corps. Les idées qui flottent dans l’air nous traversent l’esprit. Quand une idée trouve refuge dans un corps particulier, cette idée ne peut vivre si elle est stoppée: elle y reste enfermée comme dans une cage.
La création nous traverse, elle nous transporte. Elle nous transforme aussi et nous découvrons qu’elle est un développement infini de nous même et du monde. Stopper la création pour les besoins d’une économie seulement préoccupée par la question financière, c’est véritablement s’appauvrir. Après avoir été séduit par l’or pour l’art, devons nous abandonner l’art pour l’or? Non, nous créons avec la Licence Art Libre les conditions pour que l’art et l’économie fonctionnent en intelligence. Qu’il y ait rapport entre l’économie propre à l’art et un art possible de l’économie.

Pour finir, je voudrais dire qu’aujourd’hui « Copyleft Attitude » représente près de 150 personnes, essentiellement des français, mais aussi des belges, des suisses et des canadiens. Les œuvres sous Licence Art Libre sont assez diverses: musique, photos, dessins, textes, publications papier, cd audio, cd-rom, vidéos, performances, etc.
Le mois dernier à Paris, nous avons réalisé une Copyleft Party lors d’un festival du web qui a rassemblé 8 artistes et autant on-line pour créer des œuvres avec le public. Avec l’autorisation de copier, diffuser et de transformer. Nous avions des graveurs de cd, des imprimantes et 8 ordinateurs connectés. C’était à la fois une prestation d’artistes, mais aussi un atelier avec le public, un spectacle et son contraire, une répétition jamais achevée.
Le mois prochain une autre copyleft party va avoir lieu à Paris avec des musiciens.

Faisons des copyleft parties! Faites, vous aussi, des copyleft parties! Créons des ouvertures pour la création artistique. Toutes sortes de créations! On peut faire une copyleft party de cuisine avec des recettes libres, de conversation avec des idées libres, de jardinage avec des semences libres sur un terrain libre, de promenade avec des parcours libres.
Pour que l’art sous toute ses formes ne s’arrête jamais de créer.
Copyleftons les uns les autres!

 

Copyleft Attitude, le compte-rendu du 24, 25 et 26/03/2000 à Public>.

Oui, c’était le bazar, un joyeux bazar constructif où beaucoup de choses ont eu lieu, sans éprouver le besoin de la démonstration.
Au terme de ces 3 journées, nous avons posé les bases de la rédaction d’une licence GPL pour l’art avec l’aide de Mélanie Clément-Fontaine, Doctorante en droit de la propriété intellectuelle http://crao.net/gpl.

Beaucoup d’interventions, pas mal d’imprévus, ou l’inverse 😉

J’ai proposé aux intervenants de ces 3 journées d’écrire un compte-rendu. Voici les compte-rendus :

      À (At) 1:29 +0200 28/03/00,

Isabelle Vodjdani

    écrivait (wrote) :

 » Je ne pense pas pouvoir résumer en quelques lignes le bilan provisoire que je tire de ce week-end.
J’ai particulièrement apprécié le mélange étrange et tendu entre l’aspect studieux des piles de documents, des tables de discussions, des affiches et des écrans côtoyant le petit folklore bigarré de ce qui à première vue pouvait ressembler à une foire à la patate. Pour aller au plus court, il m’a semblé que les actes, les bric à brac et les tables rondes avec café + sucre étaient plus efficaces que les affichages de textes pour favoriser les échanges d’idées. Mais plus que tout cela, c’était l’affabilité et l’ouverture personnelle des participants (visiteurs compris) qui était déterminante.
J’ai trouvé que le fractionnement des coins de discussion et d’échanges divers était très excitant, beaucoup plus en tout cas que la forme d’un colloque.
Je regrette que certains pôles très intéressants (celui de la banque de questions par exemple) n’aient presque pas fonctionné et je m’interroge sur les raisons de cette inhibition.
La disponibilité d’esprit de Mélanie Clément-Fontaine qui a su véritablement écouter les propos désordonnés et contradictoires des artistes était un vrai cadeau. Même si dans la forme on peut regretter le désordre des points de vues particularistes qui se croisaient en tout sens, il faut reconnaître que c’était nécessaire. Il apparaissait assez rapidement qu’on ne peut pas aborder l’abstraction de dispositions juridiques d’un protocole s’inspirant du GPL en refoulant d’emblée la diversité des exemples particuliers. En effet, les artistes ne produisent pas toujours des œuvres purement allographiques (c’est à dire des oeuvres où la notion d’original n’est plus pertinent). L’hybridation entre la règle et l’occurrence, le générique et le singulier, l’immatériel et le matériel est leur terrain de prédilection. On s’est finalement aperçu Dimanche, que c’est en laissant libre cours au déferlement des études de cas, que l’idée d’une licence se présentant sous la forme d’un menu à options a pu enfin émerger.
Il apparaissait également, que les artistes dont la démarche offre plus ou moins d’affinités avec l’esprit du copyleft sont nécessairement appelés à faire preuve d’un minimum d’inventivité en matière contractuelle, et qu’un modèle de licence, même s’il n’a pas à être copié à la lettre, n’en est pas moins nécessaire comme repère ou base de travail pour chacun.
Il m’a semblé aussi que pour certains, l’idée du copyleft était parfois anxiogène (ou excitant selon les goùts) dans la mesure où conçue isolément en dehors de tout protocole contractuel, elle était assimilée à une sorte de désintégration de l’oeuvre et de l’identité de l’artiste. Le fait que nombre
d’artistes et de participants se présentent sous des labels, des surnoms ou des diminutifs m’a paru significatif à cet égard. Soit comme anticipation de leur propre effacement, soit comme protection, ces dé-nomminations les mettraient-elles hors d’atteinte de l’altérité? L’affinement d’un cadre juridique permettant de préserver l’intégrité des démarches engagées sur la voie du copyleft devrait sans doute contribuer à lever ce genre de craintes. »

      À (At) 17:02 +0200 29/03/00,

Frederic Goudal

    écrivait (wrote) :

Copyleft Attitude 2 fut l’occasion de mettre en pratique les beaux discours de Copyleft Attitude 1. On se rend compte rapidement que l’intégration de notions copyleft dans un travail demande une approche spécifique et qu’on ne peut pas simplement copylefter n’importe quoi. La mise en pratique montre que les gens s’adaptent très bien à l’esprit d’un travail, et que l’on peut construire simplement une « oeuvre » cohérente à plusieurs dans des conditions proches du Logiciel Libre.
CoFiLHtitude : http://www.filh.org/coFiLHtitude

      À (At) 1:00 +0200 30/03/00,

Etienne André

    écrivait (wrote) :

C’était passionnant de rencontrer des artistes (Isabelle, Frédéric, Edouard…) qui se placent résolument dans une optique du « libre », en amenant leurs travaux aux frontières des conceptions classiques de l’appropriable.
Mais… l’objectif de la gauche d’auteur n’est pas de faire de chaque artiste un nouveau Duchamp avant-gardiste. Il s’agit d’après moi d’offrir un nouveau cadre à toutes les formes d’art. Aurait-on été HS ?
Non, car cette confrontation nous aura permis justement de mettre à plat notre besoin d’universalité, tout en le testant à l’aune des audaces des artistes qui nous ont rejoint.
« Park New Choir » : http://parknewchoir.free.fr/

      À (At) 9:21 +0200 30/03/00,

Laurent Martelli

    écrivait (wrote) :

Le petit improvisateur aléatoire que j’ai réalisé le week-end dernier lors de Copyleft Attitude est maintenant disponible sur ma petite page ouèbe :
http://perso.cybercable.fr/martelli/impro

Deux courts exemples au format midi et mp3 sont aussi disponibles.

Amusez-vous bien.

      À (At) 15:08 +0200 30/03/00,

marta

    écrivait (wrote) :

The first thing I saw when I walked into Copyleft Attitude 2 was an absolutely gorgeous naked girl, accompanied by a young naked man sauntering across the room, his penis swaying in his gait. They lay across a table, while photographed, and I noted that her back showed the signs of a computer: the muscles around the wings developped from the posture of gaze.

Bang Bang Capone, the saxophonist, whet her reeds.

The heavyweights Gurita and Mbaraaq sat at a table in a café just outside with the Light and constant flame, Thierry Theolier.

Antoine Moreau threw glances of acknowledgement while conversing. A lady showed her wares, boxes with products other than what they advertised and then she requested jokes inspired by the situration, jokes that would be published.

Gérard Esmérian danced in a tutu with a hot pink ribbon, supported by Peggy Sibille, Omour N’diaye de Padalal stood in a stiffly pressed african inspired gown, and I Marta, gave a poem in the name of Tigre (titre non-déposé), accompanied by Bang Bang Capone…

      À (At) 15:40 +0200 30/03/00,

SAMMBA WARABA

    écrivait (wrote) :

Alexandre Gurita ayant invité Gérard Esmèrian et Oumar N’diaye de Padalal à participer à la Fête d’Internet, je fus amené à composer pour eux une déclaration sur « le Web avant Sumer puis de nos jours » agrémenté de l’intermède DENSE, ballet en trois parties qui utilisant le concept de mouvement arrêté de la chorégraphe Claudia Triozzi et la proposition de plâtrage d’Antoine Moreau permit à Gérard Esmèrian qui fût artiste peintre dix ans en son jeune âge (1955-1965) de débuter une carrière de danseur-étoile au crépuscule de sa vie.
Dense : http://www.multimania.com/dense

      À (At) 16:11 +0200 31/03/00,

Roberto Martinez

    écrivait (wrote) :

Cette deuxième partie de Copyleft se devait d’être un « workshop » ce ne fut pas le cas le vendredi 24 mars au soir mais plutôt le samedi et le dimanche.

Samedi : une discussion intéressante débutât vers 15h30, au cours de laquelle: les Acolytes de l’art, Michel Gaillot, Jean-Claude Moineau, Emmanuelle Gall, Isabelle Vojdani, Antoine Moreau, François Deck, …. débattirent de l’importance ou de l’intérêt du copyleft pour les artistes et de la nécessité ou non de créer une licence type G.P.L. pour l’art contemporain. Les avis partagés ont renvoyé au lendemain les tenants de l’écriture juridique de ces licences et les autres de conclurent que la notion d’artiste est peut-être bien plus large que celle du copyleft et que l’emploi par les artistes de licences ne ferait que donner des règles que d’autres artistes auraient de toutes façon envie de transgresser (la transgression étant un élément du vocabulaire de l’art)

Dimanche : autour de Mélanie Clément-Fontaine (juriste) A. Moreau, E. Boyer, E. Maillet,
A-M. Morice, THTH, I. Vojdani, les Acolytes de l’art … commençait l’élaboration d’une licence générale (avec des alinéas permettant des cas différenciés) non sans discussion reprenant la discussion de samedi et la développant laissant apparaître autant de cas particulier que de participants. La rédaction de cette licence est aujourd’hui en écriture.

Un autre travaille commence dés aujourd’hui, la revue « Allotopie » publiera à la rentrée (sept-oct) un numéro spécial « Copyleft ». A ce propos tous les participants à « Copyleft attitude » et « Workshop copyleft » sont invités à proposer des textes, des traces… merci

Copyleft Attitude : Le compte-rendu du 21, 22 et 23/01/2000 à Acces local

[Copyleft Attitude] les 21, 22, 23 janvier 2000 Accès Local [Compte-rendu, version 1.0]

On s’imaginait bien qu’entre gens créatifs et préoccupés par la liberté, l’égalité et la fraternité, il y aurait un langage commun.

Nous avions décidé de commencer ces trois journées par de l’information franchement pédagogique sur les logiciels libres, Linux et la GPL sachant bien que le monde de l’art n’était pas forcément au courant de ces notions.

Ce qui suit est une brève tentative de compte-rendu de ces 3 journées, un numéro spécial de la revue Allotopie rendra-compte, au terme de deuxième partie « copyleft attitude » à public> (4 passage Beaubourg) les 24, 25, 26 mars, de la globalité de « copyleft attitude ».

# Vendredi 21/01/00 :

(Beaucoup de monde, près d’une centaine, l’entrée Potlatch fonctionnant à merveille : chacun donnant (on a vu de tout, cd-rom, pied de porc, livres, fauteuil, préservatifs, bières, gâteaux, etc) quelque chose et repartant avec autre chose. )

Bernard Lang, responsable scientifique à l’INRIA (Institut National de Recherche en Informatique et en automatique) et trésorier de l’AFUL (Association Francophone des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres) ouvre le colloque avec une présentation des enjeux du logiciels libres par rapport aux logiciels propriétaires. Outre l’aspect purement informatique et les qualité techniques du logiciel libre, il montre ce qui est attaché à cette conception de l’informatique : nos libertés, la protection de notre vie privé, notre capacité à créer sans entrave et à être en intelligence avec, à la fois l’objet de notre travail, mais aussi ses utilisateurs.

Le LUG Parinux, avec Benoit Picaud, Laurent Martelli, Olivier Berger et Laurent Ciarka, a ensuite expliqué la manière dont s’est créé ce regroupement d’utilisateurs de Linux sur Paris et montré la force mobilisatrice et constructive de l’internet pour créer collectivement. Il se dégageait de cette expérience concrète d’utilisateurs chevronnés, une forte impression de liberté, voire de candeur à pouvoir ainsi être en communauté ( plus de 300 inscrits sur la mailing-liste Parinux) et exercer librement leurs compétences. Cette liberté étant aussi la marque d’un réalisme intransigeant vis à vis de la situation socio-économique du monde et de la mainmise propriétaire de ceux qui fabriquent des logiciels mal écrits et fermés et dont le but est de contrôler l’existence.

Frédéric Couchet, Président d’APRIL (Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre) rappelait l’histoire des logiciels libres en précisant que ceux-ci sont pionniers dans l’histoire de l’informatique, que le projet GNU est antérieur à Microsoft et consorts et que la GPL fut imaginé par Richard Stallman pour résoudre un problème bien précis d’accès à la connaissance des sources d’un système. Vraiment une question de simple liberté. Tout commence avec la liberté. Je remarquais dans le public, et ce depuis le début, une qualité d’écoute, une application à apprendre et comprendre l’histoire des logiciels libres vraiment exceptionnelle. Nous étions sensibles, non pas à un objet d’art classique, mais, à travers une pratique qui ne se considère pas de prime abord comme « artistique », à l’objet DE l’art. A ses règles, dont la première est la liberté et le partage de cette liberté.

– Il était temps de passer à l’explication de la GPL (General Public License) et des aspects juridiques du libre avec David Geraud, juriste. Malgré la complexité du texte et de sa traduction en français non-officielle, les choses sont claires et vraiment excitantes : Il s’agit là d’une licence juridique, initié par la Free Software Foundation, l’association de Richard Stallman et qui ajoute au simple copyright de plus en plus dépassé par les événements, une protection pour garantir la liberté à l’utilisateur de jouir pleinement du logiciel. La GPL empêche la captation propriétaire et permet la libre circulation des informations et de ses sources. Mélanie Clément-Fontaine, juriste et auteur de la première étude juridique sur la GPL (DEA de Droit des créations immatérielles (Faculté de Droit de Montpellier)) reviendra tout au long de ces 3 jours pour préciser la réalité de cette licence et de ses enjeux (voir plus loin).

– A vrai dire, beaucoup de gens dans la salle découvraient un nouveau monde. Une nouvelle réalité dont les impératifs ne sont pas la vente à tout prix, la captation propriétaire et la mainmise sur le monde, mais, à travers des objets réalisés dans les règles de l’art, il est question de liberté, d’égalité et de fraternité. Le débat pouvait commencer et les questions furent nombreuses, les réflexions très intéressantes.

Eve Nyle, de l’association « PAM », posa la question qui brûlait les lèvres de tout le monde : « c’est bien joli tout ça, mais comment on fait maintenant pour manger? » Que devient la beauté de la liberté face à la réalité économique et sociale des créateurs (artistes & informaticiens)? La réponse a été donné grâce à un exemple par Benoit Picaud (othon en emporte le vent 😉 de Parinux : le produit étant libre, il est donné à une entreprise, mais, pour la configuration du logiciel aux besoins de cette entreprise, il faut payer. Ce n’est pas l’objet qui est source de revenus, mais le service « périphérique » qui s’y attache. Le dérivé du produit.

– À toutes ces questions qui fusaient dans la salle, François Deck proposa à chacun de les rassembler dans une « Banque de questions » qu’il a conçu spécialement pour « Copyleft Attitude ». Un carnet pré-découpé pour recevoir des questions afin de les ordonner, recouper, classer, croiser pour faciliter les réponses et les enrichir d’une transversalité nécessaire.

– J’oublie des interventions passionnantes. La soirée prenait fin, elle aurait pu continuer jusqu’à l’aube. Quelque chose nous tenait en éveil et allumait nos esprits…

# Samedi 22/01/00 :

(autant de monde qu’hier, la table qui reçoit les biens du potlatch croule sous les propositions.)
– Nous commençons avec Eric Watier, universitaire et créateur de la revue « Domaine Public ». Au tour maintenant, des informaticiens, à avoir des informations sur les pratiques artistiques qui peuvent se réclamer d’une attitude proche de l’esprit du copyleft. Eric Watier nous lit un recensement de gestes artistiques qui, depuis 1953, ont pratiqué le don, la gratuité et la perte.

Brian Holmes rappelle l’exigence de l’art qui a une économie qui n’est pas celle de l’économie marchande. Le travail que fait « Ne pas plier » est un travail de proximité avec la réalité et les problèmes socio-économiques rencontrés dans cette réalité. L’économie du don est moteur pour l’art. Et si on mettait une peu d' »essence financière » dans ce moteur?… Autre chose : dans une logique de proximité auteur/public, que devient le producteur, l’intermédiaire?

Meryem Marzouki, Présidente d’IRIS (Imaginons un Réseau Internet Solidaire), bien que peu concernée par les question de l’art contemporain, trouvait sa place parmi nous en évoquant l’importance de la protection de la vie privée, de la liberté individuelle et du bien public pour tous les citoyens utilisant ou non les réseaux de communications. La sculpture sociale prend forme aujourd’hui et c’est l’Internet. Les chercheurs scientifiques, se trouvent confrontés aujourd’hui à des restrictions qui mettent en péril leur travail et sa libre circulation, son utilisation. En art, comme en science, la recherche est toujours menacée par les volontés de mainmise sur le savoir et sa circulation.

Pierre Bongiovani, Directeur du CICV (Centre International de Création Vidéo) se demandait et nous demandait, s’il était dans une attitude copyleft. Qu’est-ce que cela veut vraiment dire? Est-ce une simple posture, une « rock’n’roll attitude »? Certainement pas et donc, cela impliquait quelque chose de beaucoup plus profond que la gratuité et le don, cela impliquait un certain abandon. S’abandonner à concevoir le partage des richesses, des informations, du travail, comme une véritable source de richesse, d’information et de travail. Ce qui est plutôt, de prime abord, déstabilisant. Ou l’équilibre (je ne vous raconte pas l’histoire éclairante de la chaise qui tient sur trois pieds, le quatrième étant celui du déséquilibre…) se trouve dans la mise en œuvre d’un savant déséquilibre.

Laurent Ciarka, Président du GUL Parinux intervient pour préciser que dans le logiciel libre, il n’est pas question de gratuité et de don, mais bien de liberté. On peu, si on veut, vendre Linux (aussi cher qu’on veut), il n’y a aucune interdiction. La communauté de travail qui œuvre avec les logiciels libres est préoccupée par l’efficacité réelle de son objet, la question du prix est annexe, mais jamais abandonnée. Ainsi, le copyleft n’est pas le domaine public, mais bien un copyright amélioré.

Olivier Blondeau, sociologue, répondant à une question posée dans le public, faisait comprendre la notion de source d’une œuvre logicielle. Œuvre, d’ailleurs nommée « littérature ». Il y a deux éléments constitutifs de cette source, de cette origine : le code-source (l’écriture proprement dite d’un programme) et la source communautaire, l’ensemble des gens qui utilisent, ont travaillé et sont dans l’éthique de ce qu’ils pratiquent. L’aspect communautaire est essentiel, il est originel. Il va de paire avec l’œuvre.

Mélanie Clément-Fontaine, juriste et auteur de la première étude juridique sur la GPL, nous précisa, les termes de la General Public License. Elle est tout à fait adaptée à notre société de l’information car elle autorise et encourage le partage du savoir, tout en protégeant cette liberté contre l’emprise propriétaire et purement marchande. L’idée du copyleft n’est pas l’abandon du droit d’auteur, au contraire, c’est le faire valoir, avec cette possibilité de partager le fruit de son travail dans des conditions qui garantissent la libre circulation. La question qu’elle pose aux artistes est celle-là : Le droit est un outil, que voulez vous faire maintenant avec cet outil GPL dans le champ de l’art? Bonne question et les élèments de réponses ne manquent pas…

Dominique Dufau du CAAP (Comité des Artistes Auteurs Plasticiens), après une autre intervention polémique de Eve Nyle, faisait lui aussi remarquer que la vraie question, avec la liberté et la libre circulation des informations et du travail, était les conditions de vie des créateurs, leur réalité économique. Et ceci amenait à envisager le problème sous un angle franchement politique, dépassant la stricte question du logiciel libre. Il se demandait si celui-ci pouvait véritablement être un modèle ou au contraire, un néo-libéralisme déguisé.

– Pour le Syndicat Potentiel, en la personne de Xavier Fourt, la gratuité n’est pas la chose en soi la plus importante. Même avec la création d’une zone de gratuité en plein Paris, le but recherché par le Syndicat Potentiel est de remettre en cause un système marchand qui ne tolère aucune autre économie que la sienne. Celle de l’art et des travaux particuliers rentrant difficilement dans le moule de la loi absolue du marché.

– Hop hop! Charlie Nestel, professeur à Paris 8 et créateur de Babelweb, fait une apparition brève mais remarquée pour rappeler aux artistes l’histoire de la contestation du copyright par l’Internationale Situationniste et dire combien la GPL et le copyleft est une idée géniale, qui à la fois remet en cause le simple copyright, mais en plus, a l’intelligence, dans le cadre de la loi, de protéger les auteurs contre l’emprise des propriétaires-prédateurs, de la privation d’accès au savoir et de sa circulation. Le rapport entre les logiciels libres et l’art est évident. Mais cela demande une exigence éthique qui ne supporterait pas l’à peu près. C’est radicalement une autre économie, c’est une rupture avec sa logique actuelle.

– Puis Bobig (free art = free artist) distribua des bons de commande pour recevoir gratuitement une œuvre de lui. A la croisé d’un art brut et des nouvelles technologies Bobig est très présent sur l’internet et gagne sa vie en travaillant par ailleurs. Ensuite, les Acolytes de l’Art ont expliqué leur travail basé sur la gratuité, le don et la perte totale même. Ceci n’étant pas véritablement copyleft, mais dans un esprit no copyright qui interroge aussi ce qui domine les échanges. Il fut aussi question d’Ailleurs* en la personne de Thierry Théolier, qui pratique un art qui se veut débarrassé de l’idée de l’art et de ses lieux conventionnels.

Unglee, artiste photographe, fort de son expérience d’administrateur en 95/96 à la SPADEM, une société d’auteur aujourd’hui disparue, insista sur l’importance pour un artiste à revendiquer ses droits. Comment ce fait-il que la plupart des artistes qui participent à une exposition dans un musée ou un centre d’art ne soient pas rémunérés, alors que le commissaire de l’expo, le personnel du lieu et dans le cas d’une édition de catalogue, le critique d’art, la maison d’édition etc, soient eux payés?… Comment cela se fait-il? Les artistes n’ont-ils pas besoin de manger comme tout le monde?

Patrick Bloche, Député PS, auteur de « Désir de France » rapport fait au 1er ministre sur la présence internationale de la France et de la francophonie dans la société de l’information, posa les problèmes auquels sont confrontés les artistes pour protéger leurs droits avec les NTIC. Cette question est essentielle et se confronte toujours à des volontés de pouvoir de la part des plus forts. Une solution pourrait-être, ce qui a été proposé lors de la Commune de Paris : considérer les artistes comme « travailleurs culturels » et les rétribuer en fonction. Cette proposition est à envisager avec prudence.

– Les questions, encore une fois ne manquèrent pas. Je serais bien incapable ici et dans le temps que je me donne pour écrire ce compte-rendu rapide et forcement incomplet, de traduire la richesse des échanges et des réflexions. Les perspectives s’annoncent passionnantes.

# Dimanche 23/01/00 :

(moins de monde que les 2 jours précédents, quelques uns seront venus les 3 jours, d’autres 2 ou 1 seul)

Philippe Mairesse, au nom d’Acces Local, commença en expliquant la position artistique et économique du travail que fait Acces Local et dire sa résistance à la libre circulation du travail, à l’investissement dans l’immatériel comme source de valeur et préférant au flux généré, un arrêt, une immobilisation pour maîtriser cette inflation jugée extrêmement néo-libérale et allant dans le sens de ce contre quoi elle est censée s’opposer. Idem, pour la notion d’auteur. Le copyleft, n’est-il pas la disparition de l’auteur au profit d’une économie impalpable, immatérielle, insaisissable et qui, avec la force de la circulation, emporte toute résistance à son passage?

– Ce à quoi je répondais que la circulation du savoir et des objets répondait à du transport, voire même, à du transport amoureux, tout simplement. Ce qui est en jeu avec le logiciel libre, ce n’est pas tant l’application à la réalité (celle que l’on subie et qui nous écrase du poids de sa « nature ») mais bien plutôt une recherche fondamentale de réel, celui qu’on crée contre toute réalité. Liberté, égalité, fraternité! Avec la liberté, c’est l’égalité et surtout la fraternité que nous recherchons. L’économie qui sous-tend le logiciel libre est exemplaire de cette attention qui trouve racine dans toute exigence révolutionnaire ou tout simplement humaine. Le marché ne fera pas la loi à lui tout seul, il y a des règles de l’art dans tous domaines et celles-ci sont faites pour notre liberté en toute égalité et fraternité. On est pas des chiens, ni même des requins…

Roberto Martinez d’expliquer son insatisfaction en tant qu’artiste à la situation économique et juridique de l’art actuel. La plupart de ses travaux échappant aux critères de jugement voire même de valeur des galeries et des gens du monde de l’art. Alors, quelle attitude, quelle position prendre? Baisser les bras? Non, mais poursuivre une pratique qui répond à certaines exigences et l’opposer à ce qui fait force de loi. Les artistes ne sont pas des extra-terrestres et ce qu’ils développent doit être apprécié à sa juste valeur.

– Mine de rien et sans en avoir vraiment conscience, certaine pratiques artistiques très simples, mais exigeantes, correspondent à l’esprit d’une attitude copyleft. Olga Kisseleva nous montra une série de diapos où elle pose, dans différentes régions du monde, quelques questions élémentaires comme : « how are you? » Cette attention vers l’autre et son implication inscrite dans le travail de l’artiste est une recherche de liberté, d’égalité et de fraternité qui va de paire avec l’esprit du copyleft.

Eric Maillet s’interrogeant sur ce qui actuellement est un art copyleft. Certainement pas ce qui se revendique gratuit et dégagé du droit d’auteur. Une discussion passionnée à ce sujet, entre artistes, montra que les notions qui sont contenues dans le copyleft embrassent des choses importantes et sensibles. Puis, une cyber-jambe fit son apparition, puis, d’autres choses, je ne me souviens plus exactement.

Frédéric Goudal, photographe et informaticien conclu sur ce bon conseil : lire la GPL (par ex ici : http://www.linux-france.org/article/these/gpl.html). Car trop souvent la confusion et faite entre le copyleft et le domaine public, la gratuité, l’abandon du droit d’auteur, etc… Auparavant, il faisait part de sa double expérience d’artiste et d’informaticien et se posait des questions sur comment agir maintenant qu’on a croisé les regards entre GPL et Art contemporain.

    – Maintenant c’est ça :

Les 24, 25 ,26 Mars 2000 à public>, 4 impasse Beaubourg, 75004 Paris (horaires à préciser)
Deuxième partie de « copyleft attitude » : elle est orientée travaux pratiques, compte rendu de la première partie, perspectives d’actions et élaboration de la revue « Allotopie » qui rendra compte de « Copyleft Attitude ».
En attendant on peu participer à la mailing-liste « art et gauche d’auteur » (sur le site de « copyleft attitude » http://copyleft.tsx.org.) Quelque chose se construit, qui n’est pas une cathédrale, mais un joyeux bazar où on va trouver tout simplement son bonheur.

– Retransmission sur le canal « art et culture » de la Citoyenne sur à partir du jeudi 27 janvier.

Antoine Moreau, Compte-rendu de « copyleft attitude » les 21,22 et 23/01/2000 à Accès Local. (version 1.0)(26/01/00)
Copyleft : Cette information est libre, vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier selon les termes de la Licence Publique Générale GNU telle qu’elle est publiée par la Free Software Foundation http://www.fsf.org/ ; soit la version 2 de cette licence, ou (à votre choix) toute autre version ultérieure.
Il est demandé de m’envoyer auparavant votre texte de façon à préserver la justesse des faits rapportés. Votre nom, e-mail et date de la modification du texte source figurera explicitement dans le texte.
Ce texte copylefté figurera ici : http://antomoro.free.fr/c/cc/copyrendu.html et sera, dans les conditions admises ci -dessus, libre de circulation et transformation par d’autres participants à ces journées.
Ce travail est distribué dans l’espoir qu’il sera utile. Voir la Licence Publique Générale pour plus de détails http://www.linux-france.org/article/these/gpl.html (version française non officielle) ou écrivez à la Free Software Foundation, Inc., 675 Mass Ave, Cambridge, MA 02139, USA.