L'art autour du libre.

En guise d’introduction, je voudrais par avance expliquer la forme que va prendre mon intervention. Les évènements historiques que nous vivons en ce moment en France et de par le monde ne sont pas sans effets destructeurs et y faire face n’est pas seulement y faire front. Nous sommes confrontés à ce qu’il faut bien appeler une barbarie ordinaire et les mots dans cet environnement violent sont fragiles. Je pense particulièrement à des mots comme liberté, libre et aussi à art, artiste.

Je poursuis cette interrogation quant au sens et contenu des mots, avant d’aborder ce qui nous rassemble ici, en citant cette histoire rapportée par Jean Gimpel, historien d’art : « Il va peindre, écrire des sonnets et des pièces, composer un opéra, se passionner pour l’architecture, visiter les musées et les monuments, lire une histoire de l’architecture et, de Wagner, « L’œuvre d’art et l’avenir », se priver de manger pour s’offrir le théâtre et l’opéra. Refusant tout travail fixe, il vivra à Vienne la vie de bohème. Son ami d’enfance, Kubizek – un musicien – écrira qu’Hitler (car c’est de lui dont il s’agit) lui « confia son intention de consacrer sa vie à l’Art… L’Art était entré depuis longtemps dans sa vie. Il s’y consacrait avec un enthousiasme juvénile, persuadé de sa vocation d’artiste, abandonnant collège et étude à leur grisâtre monotonie… Pour Adolf, l’art contrebalançait son besoin intense d’activité et le côté sérieux de son caractère… »

Voilà pour le mot Art avec un grand A, nous verrons plus loin pour le mot libre et le concept de liberté.

Ainsi cet événement s’intitule « autour du libre ». C’est-à-dire qu’on y envisage ce qui excède le libre, sa pratique, ses outils et ses productions originelles. Le noyau dur de ce qui fait le projet GNU et les logiciels libres prend des formes qui étaient encore inimaginables au départ. Il s’agit là d’un excès tout à fait raisonné, juste et que je vais tenter, non pas de justifier, mais de développer pour ce qui concerne le domaine de l’art et de la culture.

Pour commencer, j’aimerais dire combien cet intitulé, « autour du libre » est non seulement pertinent, mais annonce bien ce qui se trame aujourd’hui.

« Autour du libre », montre que le mouvement du libre ne concerne pas seulement les logiciels, mais qu’il s’étend à d’autres domaines, à d’autres productions à d’autres préoccupations. De la même façon que l’internet n’est pas un monde à part, mais prend part au monde et ceci de façon exemplaire, en cela que le monde gagnerait à en prendre graine pour découvrir quelques solutions aux problèmes qui l’agitent et le secouent.

« Autour du libre », veut dire que le noyau originel du libre génère des fruits excentriques (excentrique, dans le sens premier du terme, c’est-à-dire, qui sont en périphéries par rapport au centre). Ceux-ci se développent, fidèles aux principes fondateurs du libre, alentour, en dehors du domaine particulier de l’informatique.

Evidemment, l’art est le domaine excentrique par excellence, à tel point que la vision vulgaire que beaucoup ont de l’art de leur époque, est celle d’une bizarrerie étrange et le plus souvent incompréhensible. Bref, un truc complètement excentrique. Parce que décentralisé par rapport à tout pouvoir, y compris le pouvoir culturel. La distance que prennent les artistes face aux pouvoirs centralisateurs est loin d’être une fantaisie arbitraire ou une imbécillité pathétique. C’est, bien au contraire, une condition nécessaire pour atteindre le cœur de leur objet. C’est en jetant un regard autour d’eux et à partir d’eux-mêmes que les artistes vont au fond des choses et trouvent des formes. A condition bien sùr que ces artistes qu’on dit « contemporains » ne soient pas non plus des « autistes contemporains » refermés en leur rond-point central et qui tourne rond et qui tourne en rond.

« Autour du libre » en appelle à la liberté. On peut dire là aussi que l’art est le domaine de la liberté par excellence. Cette excellence qui exige que cette liberté ne saurait s’exercer lâchement, sans discipline, sans maîtrise, sans qu’il y ait rapport entre celui qui l’entreprend et celui qui la reçoit. Mais aussi : que les disciplines artistiques, les volontés de maîtrise esthétique ne sont valables que lorsqu’elles mêmes sont faillibles et laissent la part belle à l’inconnu, à ce qui va aussi en excéder « le corps de métier ». Ce centre là, alors, n’est pas le lieu anéantissant et fermé de l’art pour l’art, mais il est une vacance, un vide, un antre où passe une liberté inter-dite, une liberté qui passe entre nous et qui dit les limites. Il n’y a pas d’absolu en art, il n’y a que d’art absolument autre que ce qu’il est supposé être, surtout quand celui-ci se veut total et sans limites, à vocation culturelle.

Oui, renversons les idoles, renversons la vapeur. Les oreilles vont siffler, mais passé les premiers moments de surprise (je n’ai pas l’envie de vous assommer avec des intentions bonnes ou des lieux à ce point communs qu’ils sont dévastés et que plus rien n’y pousse), vous saisirez, je l’espère, ce que, de mon point de vue d’artiste, je peux bien vouloir dire « autour du libre ».

Nous ne serions être dupes d’une liberté qui ne serait pas châtiée comme on le fait d’un langage.

Si le langage (et par là je veux dire tous les langages, celui des formes artistiques en est un parmi les plus remarquables) n’était pas observé attentivement dés le départ, dans sa richesse, sa variété et sa faculté d’inventer, nous serions là, en toute liberté, à nous dévorer les uns les autres. Le brut de forme est au corps ce que le cadavre est à la chair : une insulte mortelle et désirant la mort. Cela est particulièrement remarquable pour les époques révolutionnaires et la nôtre l’est à ce point qu’il n’y a plus guère besoin de révolutionnaires pour la faire, sauf visiblement, au rayon folklore. Une révolution folklorique alors, qui entraîne les masses à la suite d’avant-gardes illuminées et qui sème le feu pour tout éclairage. Cette liberté pyromane est la négation même et de la liberté et de l’éclairage. Il y a le feu à la maison.

Je pense tout simplement à ce que nous pouvons observer de la montée des radicalismes ou des fondamentalismes comme du règne qui se veut naturel et inconditionnel du libéralisme contemporain. Les deux font un usage du langage qui est plus proche de l’aboiement que de la conversation. Quant aux formes artistiques, c’est peu de dire qu’ils n’en ont cure, sauf à les instrumentaliser et à vouloir en tirer un profit maximum entièrement dévolu à leur représentation.

En revanche, entraver l’expression, c’est-à-dire en comprendre l’inter-dit (inter-dit en 2 mots, ce qui se dit entre, entre les signes sensés dire), permet quelque art possible et quelques créations dignes d’intérêt. Créations de sens, de formes, de pensée. Car, qui ne châtie pas le langage, qui ne l’observe pas dans sa richesse re-créative, voit son expression devenir de bois quand ce n’est pas de plomb et nie par là même tout art et toute liberté possible. Quand bien même le discours serait un discours raisonnable ou révolutionnaire, libéral, libertaire, réformateur comme formateur et j’en passe des langues de bois et de plomb qui n’ont pas observé le sens de la forme, qui ne veulent, étrange oubli, paresse coupable, tenir compte de la forme. Ainsi en est-il de l’art comme des id?
?©ologies, qui prédisposent à l’expression dite « libre » ou « libérée ». Ce qui se trace alors est l’expression d’un désir de pouvoir absolu et qui fond droit sur autrui comme le fait un oiseau de proie.

Je ne vous fais pas de dessin, nous savons que les traces que nous laissons forment notre histoire même. Celle, singulière pour chacun d’entre nous et celle, que nous partageons et qui nous est commune à tous. Ces traces d’histoires nous informent et nous forment et nous transforment. C’est dire l’importance de la pratique de l’art, si c’est bien effectivement le lieu de l’invention et de la re-création des formes et des sens.

Je vais citer maintenant un poète, un passage clef pour comprendre en quel endroit nous nous situons : « RIEN de la mémorable crise ou se fùt l’événement accompli en vue de tout résultat nul humain N’AURA EU LIEU une élévation ordinaire verse l’absence QUE LE LIEU inférieur clapotis quelconque comme pour disperser l’acte vide abruptement qui sinon par son mensonge eùt fondé la perdition. » Il s’agit d’un extrait du célèbre poème de Mallarmé : « Un coup de dés ». Entre autres, nous avons pu, d’une façon extrêmement châtiée, à la limite de la négation même du langage considéré comme outil de communication, nous avons pu entendre très clairement : « rien n’aura eu lieu que le lieu ».

Autrement dit, ce qui veut s’inscrire et tracer en ce lieu réel une réalité toute réaliste n’est pas de l’ordre de ce que poursuit le processus créateur.

Qu’il y a une différence entre un objet d’art qui tient lieu d’art et l’objet DE l’art qui a lieu et qui est le lieu lui-même. Néanmoins, ces deux notions ont à voir l’une avec l’autre, on ne saurait se priver d’objets qui signifient un certain état de l’art. Mais, ce qui tient lieu d’art ne peut être tenu pour entièrement satisfaisant au regard de ce que l’art poursuit et qui nous traverse. Parce que cette poursuite ne saurait être arrêtée et mise en conserve. Rien n’a lieu que le lieu, car c’est le lieu lui-même qui, par sa fonction matricielle, accueille et génère un art qui demeure possible et que des œuvres rendent perceptibles.

Considérons alors le lieu de l’internet et celui du mouvement du libre comme un lieu générateur, ouvert et qui pose les limites de son « avoir lieu » pour protéger, choyer et rendre sensible une liberté respectée et respectable. Voyons aussi comment la pratique de ce lieu n’est pas de l’ordre de la conquête ou de la démonstration de force, mais bien au contraire : c’est le lieu qui nous conquiert et qui nous invite à la puissance.

Si les artistes châtient le langage, il en est de même pour la liberté : Lorsque Arthur Rimbaud exprime son désir de liberté en qualifiant celle-ci de « liberté libre » (dans une lettre datée du 2 novembre 1870 adressée à Georges Izambard, son professeur), c’est qu’il a bien vu que la liberté érigée en bannière par une démocratie convaincue de sa valeur est loin d’être satisfaisante. Que cette liberté est au contraire un fétiche, un point final à son exercice, qu’elle se fige et demeure le frein le plus sùr à sa pratique.

C’est ainsi qu’on voit la liberté, valeur essentielle de la démocratie, devenir l’instrument des tyrannies les plus courantes : celle de l’anarchie iconoclaste et du néo-libéralisme conservateur qui, aujourd’hui, ont trouvé leur accord parfait dans un syncrétisme idéologique radical, je veux parler de celui prôné par les libertariens, les anarcho-libéraux, les libéraux-libertaires, enfin tous ceux qui, grâce à la liberté brute de formes, (et je cite Arthur) : « ont une main invisible qui tue ». Vous n’êtes pas sans savoir que cette main invisible est une image inventée par Adam Smith, le père de l’économie politique, pour qualifier la justesse, voire la justice (rions un peu…), de la loi du marché. Ainsi ces activistes économiques, libérés de toute entrave « ont une main invisible qui tue : Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l’œil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir. » Je ne peux m’empêcher de vous faire partager les quelques vers qui précédent le passage que je viens de vous lire et qui s’adressent à ces tenants d’une liberté brute et absolue : « Oh ! Ne les faites pas lever ! C’est le naufrage… Ils surgissent, grondant comme des chats giflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés. »

« Ne les faites pas lever ! C’est le naufrage… » Oui, l’appel exigeant à se lever pour embrasser une liberté digne de ce nom, une liberté non pas libérée (et libérée de quoi si ce n’est alors de ce qui la fonde ?…), mais une liberté libre, c’est-à-dire sans cesse reformulée par ses propres qualités ; que ce rappel exigeant, provoque de la part des tenants de la liberté repue et satisfaite, une réaction plutôt violente. Ce poème a pour titre « Les assis ». Je vous invite à le lire en entier et à le relier à l’œuvre d’un Pierre Legendre, philosophe et analyste, spécialiste des institutions françaises, je pense particulièrement à cet ouvrage intitulé : « Jouir du pouvoir, traité de la bureaucratie patriote » dont je tire ce court extrait : « Notons, d’une maxime brève, ce qui fait du droit une science naturelle : le pouvoir est un fait sauvage, quelque chose comme un fait brut, et son discours s’adresse à des brutes. »

Au contraire de l’assurance de ce qui trône assis, sans aucune imagination, l’art et la liberté qui l’accompagne s’invente debout, souvent en marchant, quelques fois dans le désert, quelques fois en réseau, quelques fois dans les salons où l’on cause, mais debout, dans une position instable, qui trouve son fragile équilibre dans la découverte de ce qui va se construire entre. Entre un artiste, le monde et ses habitants. Généralement ça fini par prendre la forme d’un objet, mais vous remarquerez que les meilleurs de ces objets d’art n’en finissent pas de nous échapper, que leurs formes sont capables d’interprétations multiples et nous tournons autour sans arriver à en faire le tour définitivement. Et cela n’est pas un fait brut fait pour des brutes, mais une histoire d’amour aux effets de dentelles et qui se trame entre nous.

Maintenant, allons faire un tour.

Lorsque j’ai pris connaissance, via l’internet, de l’existence des logiciels libres, de la notion du copyleft et du projet GNU, je me suis dit qu’il y avait là quelque chose d’admirable et que le monde de l’art et plus généralement la culture contemporaine pouvait et devait en prendre leçon. Qu’il s’agissait là, en intelligence avec le matériau numérique et son transport réticulaire, d’un renouvellement de notions oubliées par notre époque pressée de jouir et de profiter du temps qu’elle veut être le meilleur. Comme si le meilleur temps était celui de la vitesse et la gerbe provoquée par cette ivresse, le signe du bonheur accompli.

Des notions occultées par une volonté de domination toujours prête à nier ce qu’elle ne comprend pas illico. Comme ceci qui coule de source, sans que ce soit pour autant naturel :

Avoir le droit de se copier les uns les autres pour mêler et enrichir les découvertes des uns et des autres, pour les uns et pour les autres.

Avoir le droit de diffuser librement les œuvres de façon à ce qu’elles continuent à cheminer dans nos pensées à travers des objets et dans nos cœurs sans qu’il y ait fatalement de point de chute définitif.

Avoir le droit de transformer les productions d’autrui pour que celles-ci ne stagnent pas en fétiches sacrés et terrorisants mais puissent se développer et se multiplier sous d’autres formes, par d’autres artistes et pour d’autres artistes, qu’ils soient professionnels ou amateurs et même simple public si celui-ci veut prendre part active à la création.

Et à ces 3 libertés, un interdit essentiel : celui d’avoir l’exclusivité définitive sur les productions ainsi générées. On ne copyright pas le copyleft. Ce qui est ouvert reste ouvert, ce qui est libre reste libre et ce dernier point défend nos créations de qui voudrait en profiter sans partage. Voilà une protection de nos droits d’auteur ainsi reformulés par le copyleft et qui vaut bien celle qui prétend actuellement protéger la création artistique.

Tout cela a été largement compris par le passé et par les artistes dont l’histoire ne se réduit pas à l’érection triomphaliste d’un statut d’auteur comme ayant droit absolu sur une œuvre supposée sienne et supposée lui revenant en propre. Je cite Musset: « On m’a dit l’an dernier que j’imitais Byron… Vous ne savez donc pas qu’il imitait Pulci ?… Rien n’appartient à rien, tout appartient à tous. Il faut être ignorant comme un maître d’école Pour se flatter de dire une seule parole Que personne ici-bas n’ait pu dire avant vous. C’est imiter quelqu’un que de planter des choux. »

Je venais donc de découvrir, émerveillé, que des informaticiens, des créateurs de logiciels qualifiés libres, avaient une conscience aiguë et intuitive des fondements même de ce qui fait une culture vivante. Cette communauté de hackers, autrement dit d’artistes de l’informatique, d’informaticiens artistes, reformulait le copyright en copyleft, non pour nier les droits d’auteur, mais pour affirmer et exercer ce à quoi un auteur a le droit : être en intelligence avec son objet, développer une recherche singulière, avoir rapport fraternel avec les autres auteurs et être protégé de qui veut faire de la puissance créatrice un pouvoir dominant.

Après observation du monde du libre, il s’est agi de faire le lien avec le monde de l’art et de montrer que la création artistique, qu’elle soit numérique ou non, avait rapport avec le copyleft.

Avec un groupe d’amis artistes réunis autour d’une revue nommée « Allotopie », nous avons mis en place 2 évènements nommés « Copyleft Attitude » dans 2 lieux indépendants d’art contemporain à Paris (Accés Local et Public). Pour la première fois, des informaticiens du libre, des juristes, des artistes et des acteurs du monde de l’art prenaient connaissance les uns des autres et se posaient la question d’un art libre.

Il est vite apparu que si nous voulions poursuivre et véritablement envisager le copyleft pour l’art, il nous fallait créer l’outil juridique qui allait nous permettre cela. Sans outil, pas d’œuvres. Le projet de rédiger une licence libre pour l’art prenait forme et nous avons finalisé la version 1.1 de la Licence Art Libre en juillet 2000 avec l’aide de Mélanie-Clément Fontaine et David Géraud, juristes parmi les premiers à s’être intéressés au libre.

Ensuite, tout s’est fait via le net : un nouveau site web réalisé par des étudiants de l’INSA de Lyon et Daltex pour le design hébergé par Tuxfamily, une liste diffusion hébergée par April, des rencontres, des croisements, des projets, des manifestations artistiques et un nombre importants de créations très diverses sous Licence Art Libre. Des images, des sons, des textes, des jeux, des oeuvres, numériques ou non, de qualité certaine comme incertaine, bref, toutes formes possibles sans que n’intervienne de filtre esthétique et qui voudrait arrêter un canon formel à ce qui prend forme momentanément et qui s’offre à la transformation, à l’interprétation, à la reformulation sans fin.

Vous avez pu voir d’ailleurs hier soir lors du gala, quelques artistes parmi les plus actifs au sein de Copyleft Attitude.

Je vais tout de suite, vous montrer quelques œuvres répertoriées dans le site artlibre.org, à titre d’exemple et vous invite à y aller voir de vous même :

[exemples (voir les oeuvres sur le site de Copyleft Attitude.]

Pour finir, j’aimerais aborder la question économique et montrer en quoi l’observation de l’art et la reconnaissance des artistes comme acteurs à part entière de la culture contemporaine peut être instructif pour aider à comprendre ce que pourrait être une véritable nouvelle économie.

Le problème, transitoire, mais combien brùlant qui touche l’économie contemporaine est dù en grande partie que nous sommes tributaires de comportements issus encore de la révolution industrielle, alors que nous abordons l’ère culturelle, machinerie complexe à produire des biens, mais surtout des styles de vie. Hélas, nous sommes en fait bien loin de ce qui pourrait être un art de vivre. Par ces « styles de vie » pré-fabriqués, c’est la mort du style tout simplement qui vient s’inscrire dans nos vies.

Ce à quoi s’emploie ce qu’on appelle l’ingénierie culturelle, écrasante usine à gaz qui se met en place sur les territoires et qui porte un rude coup aux pratiques culturelles populaires et artistiques plus savantes. Autant de parcs à thèmes comme de thématiques bienfaitrices et qui veulent prendre en charge l’ existence et assurer le bonheur.

Cette économie là veut faire l’économie de l’art. L’art, s’il demeure, sera alors, dans ces conditions, la mauvaise conscience de la culture même. Son rêve et son cauchemar tout à la fois. C’est aujourd’hui, la position des artistes qui résistent à devenir les animateurs des nouveaux territoires de la culture qu’ils soient parcs payants ou friches cools, sur le net comme sur la terre ferme. Parce que la pratique artistique est un lieu sans territoire, elle n’a lieu que lorsqu’elle est le lieu d’être. Et la question de l’être ne saurait se poser dans des territoires balisés par une économie ou une politique culturelle, mais bien au contraire par une culture réellement politique qui fait le choix d’entendre, de comprendre et d’apprendre où en est l’art aujourd’hui et ce qu’il a à lui dire en matière d’économie, entre autres choses. Une économie qui n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour tous d’entre-prendre, c’est-à-dire de prendre ce qui entre nous circule et fait valeur sans qu’on puisse jamais s’arroger le droit de posséder de façon totale pour en tirer un profit monstrueux et destructeur.

C’est bien « autour du libre », avec le copyleft comme modèle de droit, que les artistes qui réalisent des œuvres sous licences libres, tracent des chemins pour que l’art et la liberté qui l’accompagne aient véritablement lieu.

Je vous remercie de votre attention.

« L’art autour du libre. » Texte de la conférence donnée lors du colloque « Autour du libre 2002 » à l’INT d’Evry le 31 juin 2002.
Copyright © 13 mai 2002, Antoine Moreau
Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le redistribuer et/ou le modifier selon les termes de la Licence Art Libre.
Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude ainsi que sur d’autres sites.

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