La création artistique ne vaut rien.

« La création artistique ne vaut rien », Antoine Moreau, 15 mars 2006. Un texte écrit pour Framasoft.org. Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le copier, le diffuser et le modifier selon les termes de la Licence Art Libre http://www.artlibre.org

Pour tenter de répondre à ces questions il serait bon de prendre en considération quelques faits simples issus de l’économie même de l’art, de ses objets et de ses auteurs.

Qu’observons-nous depuis maintenant près d’un siècle que le ready-made a été inventé et qu’il n’a cessé de faire boule de neige ?
– Une disparition du travail artistique qui laisse apparaître une beauté certaine du geste quand celui-ci élève un presque rien au rang d’oeuvre d’art.
– Une disparition de l’Auteur qui laisse s’affirmer les consommateurs, auteurs à part entière d’une oeuvre offerte à recréations.
– Une disparition matérielle des oeuvres qui fait de la vie une expérience artistique plus intéressante que ne peut l’être l’art lui-même.

Que toutes ces vacances ne soient pas pour nous objets d’effroi !
Le vide ainsi créé est traversé d’un souffle formidable, une respiration vitale quand l’industrie culturelle n’hésite pas à étouffer les esprits en les gavant jusqu’au dégoùt.
L’internet et le numérique ont cette vertu de pouvoir nous rappeler aujourd’hui ce que la création artistique a toujours été depuis la nuit des temps : un don inestimable, quelque chose d’imprenable qui se transmet et qui échappe aux emprises définitives. Sauf à l’enfermer, cela s’est vu et c’en est fini alors de son commerce.

Considérons donc avec attention les faits matériels de la création artistique tels que nous le montre le réseau des réseaux.
– Apparition d’une profusion d’oeuvres copiables, diffusables et transformables du simple fait de leur économie propre.
– Apparition d’une foultitude d’auteurs, le lecteur lui-même écrivant dans la wikipédia par exemple, qui multiplient les possibilités de créations.
– Apparition de pratiques n’ayant, selon les critères, rien à voir avec l’art mais qui sont la conséquence de ce que les artistes ont cherché, trouvé et matérialisé dans des oeuvres reconnues comme telles. Une sculpture sociale, des formes singulières, rien du tout et qui n’est pas moins que rien.

Que ces apparitions ne nous effraient pas !
Elles sont la richesse déjà  présente et opérante d’une culture mondiale transportée, transformée et qui se transmet malgré les tentatives aussi ridicules que pesantes de vouloir en circonscrire le geste et la beauté. Elles procèdent d’une économie qui excède l’économie même, elles font l’économie de l’économie, c’est à dire qu’elles en sont la crème.

Mais qu’en est-il alors du beurre et de son argent ? Si la création artistique ne vaut rien et que chacun peut être auteur, qu’est-ce qui va bien pouvoir nourrir les artistes reconnus comme tels ?
Réponse : les à côtés de la création artistique. Car c’est bien à la périphérie de l’objet créé qu’il est possible de générer du profit et non plus directement par lui. Ainsi les concerts et autres prestations vivantes liées à un produit figé, le morceau de musique enregistré, qu’il soit gravé ou en ligne. L’exemple type a été donné dans un autre domaine par cette oeuvre d’art remarquable primée en 1999 à Linz lors du festival Ars Electronica : le système d’exploitation libre GNU/Linux.
Il n’est pas gratuit mais est offert gracieusement. Il rapporte de l’argent mais son économie n’est pas basé sur la rareté. Il n’est pas la négation des droits d’auteur mais en renouvelle la pertinence grâce au copyleft. Il n’est pas le seul, de très nombreux logiciels libres procèdent ainsi d’une économie qui fonctionne en intelligence avec l’écosystème du net basé lui-même sur des protocoles ouverts.
Copyleft ça veut dire quoi ? Tout simplement le droit d’étudier, de copier, de diffuser et de transformer librement la création. Avec une protection fondamentale, l’interdiction d’avoir une jouissance exclusive des objets créés, ce qui appartient à chacun appartient à tous. Nous redécouvrons là ce qui fait depuis toujours l’autorité d’un auteur et celle qu’on reconnaît à ses oeuvres : la capacité à augmenter le bien public.

Le projet de loi DADVSI, parce qu’il ne reconnaît pas à la création de capacités à augmenter le bien public, est aussi vain que dangereux. Ne comprenant pas le principe de réalité du net, de ses objets et de ses pratiquants (la copie, la diffusion et la transformation des données) le projet de loi tente de s’imposer par l’entrave (les Mesures Techniques de Protection). Mais il y a malentendu. Entraver la création, ce n’est pas la comprendre, c’est la court-circuiter. Alors qu’une simple observation suffirait à saisir pourquoi et comment ce sont des milliards d’auteurs qui, par leur présence active, font acte de création et fabriquent une culture vivante et riche d’avenir.

La création artistique ne vaut rien, rien ne vaut la création artistique. Sauf la vie qui elle aussi n’a pas de prix. C’est à partir de ce constat économique qu’une économie en intelligence avec l’art et la vie peut exister. Ce qui se fait avec plus ou moins de bonheur, mais où il est toujours nécessaire de rappeler deux points essentiels :
– L’art comme la vie ne sont pas gratuits, ce n’est jamais l’arbitraire de la gratuité qui détermine.
– L’art et la vie sont inestimables, ils procèdent de la grâce du don.

 

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